L’esprit du Moscou médiéval au domaine de Kroutitsy

Evgeunia Novojenina / RIA Novosti
Fondé au XIIIe siècle par le premier prince de Moscou, le monastère de Kroutitsy a traversé les siècles, subissant guerres, incendies, pillages. Plusieurs fois détruits et reconstruits, ses bâtiments de brique rouge donnent aux amateurs un goût de l’ancienne Russie. Encore peu visité, le site est retourné dans l’escarcelle du patriarcat de Moscouen 1991.

Crédit : Evgeunia Novojenina / RIA NovostiCrédit : Evgeunia Novojenina / RIA Novosti

L’ancien monastère de Kroutitsy téléporte ses visiteurs au Moyen âge. Dans un coin retiré au sud-est de Moscou, non loin du monastère Novospasski, son architecture en brique rouge attire le regard. Situé sur la rive gauche de la Moskova, sous l’embouchure de la Yaouza, il tient son nom de la colline « Kroutitsy », probablement tiré de la berge escarpée (« kroutoï ») à cet endroit. Le premier prince de Moscou, Daniel (1261–1303), souhaitait y installer sa cour, selon une légende mentionnée dans un manuscrit du XIIIe siècle, rapportée par Nikolaï Karamzinedans sa fameuse Histoire de l’Etat russe. L’ermite qui vivait là l’en aurait dissuadé, prédisant l’érection d’une église et d’un monastère. C’est en 1272 que le prince décide de réaliser cette prophétie. Le site appartiendra au diocèse de Saraï, avant de prendre son indépendance deux-cents ans plus tard, à la faveur de l’affaiblissement du joug tataro-mongol.

Aujourd’hui, le lieu reste propice à la méditation. De rares touristes prennent des photos, quelques couples se promènent dans la cour pavée et, assis sur des bancs, des artistes peignent en silence. Devant eux se dresse la cathédrale de l’Assomption, sous ses cinq bulbes noircis par le temps, symboles du Christ et des quatre évangélistes. Haute de 29 mètres, c’est le plus grand bâtiment de l’ensemble. Le toit aussi est en brique. De larges escaliers couverts mènent à la partie haute, dédiée à la Dormition de la Vierge. Des fresques décorent le dôme et les murs à l’intérieur, dont Ponce Pilate devant Jésus Christ et Jésus Christ sur le Golgotha des deux côtés de la porte en bois. Face à l’entrée trône une iconostase sculptée, recouverte de feuilles d’or sur fond bleu, la couleur céleste traditionnellement associée à la Vierge Marie. La partie inférieure est consacrée aux apôtres Pierre et Paul. Celle-ci a conservé partiellement ses peintures murales du XIXe siècle. Une composition en trois parties habille par exemple le réfectoire : l’Annonciation, Noël et le Baptême de Jésus.

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Le sommet d’un beffroi érigé dans les années 1680 pointe juste derrière. Seule une petite cloche d’origine, disparue depuis, était encore conservée à la fin du XIXe siècle. Une galerie voûtée aménagée au-dessus de la forteresse de brique conduit de la cathédrale au petit terem (maison typique de l’ancienne Russie) construit à la fin du XVIIe. Recouvert de plus de 1500 tuiles céramiques colorées, dans les tons verts, il tranche avec les autres bâtiments. Des fresques, représentant la Dormition et des saints, ornent ses portes sacrées. Au-dessus, de petites colonnes sculptées de fleurs et de fruits encadrent les fenêtres : c’est d’ici, avec une vue imprenable sur Moscou, que les évêques bénissaient les fidèles rassemblés dans la cour et faisaient leurs aumônes aux plus pauvres.

Dans les temps anciens, le site est très fréquenté. Outre la rivière Moskova toute proche, la route de Kolomna, célèbre depuis le XIIe siècle et fréquemment utilisée par la Horde d’Or et les princes de Moscou, passe le long de sa muraille orientale. Les troupes du prince Dmitri Pojarski et de Kouzma Minine ont aussi foulé les pavés de Kroutitsy, en 1611. En embrassant la croix, leurs soldats jurent de libérer Moscou des envahisseurs polonais. Mais le monastère prend surtout son essor comme centre spirituel de la foi orthodoxe sous la direction du métropolite Paul II, à partir de 1664. Homme instruit, mécène des arts et des sciences, celui-ci fonde une grande bibliothèque pour la formation du clergé. Le monastère traduit des textes sacrés du grec au russe et abritera même au siècle suivant un séminaire. Dans la partie orientale du domaine, le métropolite aménage l’un des premiers jardins d’ornement de Moscou, doté de fontaines : « un coin de paradis », selon les témoignages des habitants de cette époque.

C’est également au XVIIe siècle qu’est construit le palais du métropolite, jouxtant le terem. L’épaisseur des murs en brique atteint 120 centimètres au rez-de-chaussée, principalement employé pour le commerce. Le premier étage est résidentiel et sert aux cérémonies. Dans sa prolongation s’élève la petite église de la Résurrection, en mémoire de celle érigée à Jérusalem en l’an 355 (aussi appelée église du Saint-Sépulcre). La chapelle dédiée à Saint Nicolas le Thaumaturge, dans sa partie nord, date de 1516. Les tombes de plusieurs métropolites et évêques de Kroutitsy se trouvent dans la crypte. L’église a brûlé en 1812, lors des incendies provoqués pour faire partir les troupes napoléoniennes, mais les peintures murales sont préservées. Lors de sa visite en 1838, le futur tsar Alexandre II exprime le souhait de la voir restaurée. Les architectes Evgraf Tiourin et Constantin Thon ont élaboré des projets, réalisés en partie seulement.

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Perpendiculaire à l’église, le palais de la berge complète l’ensemble en 1719. Outre les moines, y vivent des chantres, des bedeaux, des sacristains, etc. Après la suppression du patriarcat sous Pierre le Grand, le site est transféré aux autorités militaires, sauf la cathédrale de l’Assomption. Derrière les édifices religieux, plusieurs dépendances abritent l’ancienne garnison militaire au XIXe siècle. Le domaine de Kroutitsy souffre ensuite de la Révolution d’Octobre et de la politique antireligieuse du nouveau régime communiste. Au milieu des années 1920, la cathédrale de l’Assomption est transformée en dortoirs militaires. Une dizaine d’années plus tard, c’est au tour de l’église de la Résurrection, adaptée en logements, tandis que l’ancien cimetière devient un terrain de football. Des travaux de restauration sont finalement menés à partir de 1947. Une partie devient musée en 1966, mais la plupart des bâtiments seront utilisés comme garnison jusqu’en 1996. Après plusieurs décennies, le culte reprend en avril 1992.

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