Source : Archives personnelles
La guerre a fait irruption dans la vie de Pavel Roubintchik quand il avait treize ans. Deux jours avant son commencement, l’adolescent était arrivé dans une colonie de vacances non loin de Minsk, capitale de l’actuelle Biélorussie. Dès cinq ou six heures du matin le 25 juin 1941, trois jours après le déclenchement de la guerre, lorsque cette dernière arriva aux portes de Minsk, les parents ont commencé à venir chercher leurs enfants.
Ils racontaient qu’il était impossible de voir le ciel de Minsk tant les avions allemands étaient nombreux. Les bombes incendiaires avaient transformé la ville en un brasier géant. « Les flammes faisaient 60 mètres de haut, il semblait que la nuit avait disparu », raconte Pavel.
Pavel s’est enfui à Minsk, mais ses parents n’y étaient pas. Le 19 juillet, l’ordre a été donné à tous les Juifs de se concentrer pour vivre dans un quartier à part. Ce dernier était appelé ghetto. « Nous, à l’orphelinat, on avait encore de quoi manger, mais ici, les gens étaient de vrais squelettes. On m’a donné une charrette et pendant deux mois j’y ai chargé ces squelettes morts de faim pour les emmener aux fosses communes du cimetière », se souvient-il.
« Nous avons été transférés par la suite dans un camp de concentration où nous étions préposés à la fabrication d’armes. On travaillait entre 14 et 16 heures par jour. On mangeait une fois par jour, de la soupe aux têtes de harengs. C’est pour cette raison que je ne mange du hareng que depuis deux ans. Avant, je ne pouvais même pas le regarder », dit-il.
« Je suis resté en vie grâce à un Allemand qui s’appelait Paul. Il m’apportait des casseroles que je devais nettoyer. Comme il y avait des restes, je pouvais les finir. C’est ce qui m’a permis de survivre », ajoute-t-il.
« Nous vivions derrière plusieurs rangées de barbelés, surveillés sur le périmètre par des soldats avec des chiens. Mon camarade et moi avions projeté de nous évader une nuit. Mais le soir, on nous a annoncé la nouvelle d’une tentative d’évasion. Le malheureux a été capturé, passé à tabac devant nous et pendu. Cependant, nous n’étions nullement découragés. Si telle est notre destinée, nos corps pendront ici demain, a-t-on pensé.
Nous avons creusé un trou et nous avons couru jusqu’au chemin de fer. Juste à ce moment – et c’est un pur hasard – nous avons aperçu un train de marchandises. On s’y est cramponnés et on est partis. Une vingtaine de kilomètres plus loin, nous avons sauté du train en marche et nous avons roulé sur l’herbe. Nous étions retournés et secoués. La roulade terminée, j’ai palpé mes bras et mes jambes. J’ai compris que j’étais en vie. Mon camarade se portait moins bien.
Après avoir erré dix jours dans la forêt, nous avons rejoint les partisans. Nous avions, mon camarade et moi, tellement soif de vengeance qu’on ne cessait de harceler notre commandant en lui demandant de nous confier une tâche. Fatigué par notre insistance, il nous donnait parfois des missions dont les équipes précédentes n’étaient pas revenues. Mais, comme vous pouvez le constater, je suis en vie. »
« A 17 ans, j’ai été gravement blessé. Je devais être enterré, mais au dernier moment quelqu’un a remarqué que j’étais encore en vie. Transféré pour être soigné, j’ai commencé à chercher mes parents. Je les ai trouvés. Après la guerre, mon père m’a obligé à poursuivre mes études à l’école : imaginez-vous un grand gaillard parmi les enfants ! J’ai traversé la guerre, mais j’ai complètement oublié comment lire et écrire. On se moquait de moi. Seule la prof d’allemand était satisfaite de moi. Car au camp de concentration, il était vital d’exécuter l’ordre d’un Allemand. Et on piochait des mots, on retenait. Sinon c’était la mort », explique-t-il.
Pavel Roubintchik préside l’organisation publique des Juifs handicapés anciens détenus des ghettos et camps de concentration nazis. Il est également le fondateur du musée de l’Holocauste de Saint-Pétersbourg. Lui-même a été prisonnier des nazis pendant deux ans. Et il a décidé de rassembler ceux qui ont connu la faim insupportable, le travail exténuant et la crainte perpétuelle de la mort.
Au début, l’organisation comptait 550 membres de Saint-Pétersbourg et 70 autres de la région Nord-Ouest de Russie. En vingt ans, elle s’est réduite de moitié. « Nombreux sont ceux qui ne sortent plus de chez eux. Nous essayons de les soutenir, nous envoyons chez eux des sœurs de charité. Nous avons même une volontaire allemande », précise-t-il.
« Nous allons si souvent aux cimetières que nous nous appelons nous-mêmes le « convoi funèbre ». Ce sera bientôt mon tour. Je dis aux gens : « Il est temps que je parte. » Mais ils ne veulent pas me laisser m’en aller. »
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.