« En France, la question de l’évaluation de la cuisine russe ne se pose plus »

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A la veille des Saisons de la gastronomie russe qui s’inviteront sur la Côte d’Azur du 26 au 29 août et à Paris du 9 au 11 novembre, leur auteur Natalia Marzoïeva a parlé à RBTH de l’attitude envers la cuisine russe, ainsi que du développement et du potentiel de celle-ci.

Vous organisez ces Saisons en France depuis 2010. D’une part, le choix de la France est logique, le pays étant spécialiste de la gastronomie. D’autre part, les Français sont très critiques dans leur jugement de cuisines étrangères.

Natalia Marzoïeva. / Archives personnelles Natalia Marzoïeva. / Archives personnelles

Natalia Marzoïeva : C’est comme escalader le plus haut sommet pour se dire : « Oui, je l’ai fait ». La France est un pays compliqué pour l’ascension gastronomique, mais il ne faut pas oublier l’aspect historique : des contacts entre les chefs russes et français existent depuis les temps les plus reculés. Le grand Marie-Antoine Carême (1784–1833) qui a vécu plusieurs années en Russie évoquait l’originalité de la cuisine russe et la nécessité de la faire connaître aux chefs français. Ce sont d’ailleurs les échanges entre nos traditions culinaires qui ont offert au monde des délices comme le Veau Orloff ou le Bœuf Stroganoff.

Le festival actuel s’inscrit dans le droit fil de la tradition des Batailles gastronomiques qui se sont déroulées de 1862 à 1912 à Saint-Pétersbourg et à Paris. Outre les célèbres Saisons russes de Serge Diaghilev, outre l’opéra et la littérature russes dont nous pouvons toujours nous vanter, il existe la cuisine russe et c’est ce segment que nous faisons découvrir aux Français.

Que connait-on de la cuisine russe en France ? Tout me direz-vous ! Les pirojkis, le caviar et la vodka n’ont plus de secret, certes. Nous, on veut présenter à nos visiteurs d’autres produits et plats russes que l’Europe ne connaît pas, mais que les chefs russes et étrangers servent chez nous. Bien que la stylistique de nos cuisines soit ressemblante, nous avons notre propre vision de la gastronomie. Ainsi, nous utilisons beaucoup plus de baies, d’autres épices et un grand nombre de produits que nous offre notre nature richissime. Nous avons eu l’idée d’exporter ces connaissances en France.

A l’issue de six ans de Saisons, y a-t-il des changements dans l’attitude envers la cuisine russe ?

C’est simple : quand en 2010 je venais dans des hôtels et des restaurants pour proposer d’organiser des Saisons gastronomiques russes, on me demandait ce que c’était. Aujourd’hui, aucune question ne surgit. La gastronomie russe existe. Elle ne peut certes pas être comparée à des géants comme la cuisine asiatique ou française, mais elle a sa place et elle doit être soutenue et développée, la gastronomie étant la carte de visite d’un pays.

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Que faut-il faire pour étonner ?

Savoir marier différents produits et maîtriser l’art culinaire à la perfection. Nos chefs suivent de près toutes les tendances gastronomiques, ils sont avides d’apprendre quelque chose de nouveau. Ce qui se voit dans leur cuisine. Tout cuisinier qui se respecte doit voyager, a dit un chef. C’est en effet lors de voyages, lors de la découverte de la culture gastronomique d’autres pays qu’il est possible de se perfectionner et de trouver son propre style. Nos chefs restent fidèles à ce précepte.

Ainsi, il s’agit non seulement de présenter la cuisine russe, mais de la développer ?

Bien sûr ! Notre festival est avant tout un échange d’expériences, de recettes, voire de méthodes de gestion dans le secteur de la restauration. Tout le monde quitte le festival en emportant dans ses bagages une nouvelle expérience.

La cuisine russe suit toutes les tendances modernes, essaie d’être intéressante et utile et progresse, à mon avis, en profondeur.

Que pensent les grands chefs français du savoir-faire de nos cuisiniers ?

Ces trois ou quatre dernières années, la question d’évaluation ne se pose plus. Il est évident que la Russie ne possède pas une école gastronomique comme en France, qu’elle l’a perdue durant les années de révolutions et de guerres, mais la jeune classe de chefs qui est apparue au cours des cinq ou sept dernières années est entièrement conforme aux normes européennes. Quand nos cuisiniers arrivent en France, ce n’est plus une relation entre le maître et son élève, mais un échange d’expériences entre deux professionnels.

Les Saisons sont « servies » aujourd’hui avec un programme culturel.

Quand nous avons abordé le sujet de la gastronomie, nous nous sommes rapidement rendu compte que notre visiteur s’intéressait à la culture russe au sens large du mot. On a alors pensé à associer la gastronomie aux autres aspects de la culture. L’année dernière était celle de Tchaïkovski. Nous avons invité le sculpteur, peintre et décorateur Mikhaïl Chemiakine et nos chefs ont préparé des plats d’après ses esquisses pour le ballet Casse-Noisette : ce fut un exercice intellectuel-artistique pour nos cuisiniers. Nous avons organisé également une soirée intitulée Saint-Pétersbourg à l’Ermitage. L’hôtel Hermitage de Monte-Carlo a invité le chanteur d’opéra du Théâtre Mariinski Vassili Ladiouk, le groupe Terem Kvartetd’instruments populaires russes, la styliste Elena Badmaïeva, ainsi que plusieurs chefs. Ce fut une véritable association de mode, de gastronomie et de musique russes. 

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Que présentera-t-on cette année ?

Le sujet sera Recettes aphrodisiaques : l’amour dans votre assiette. Il sera orchestré par Andreï Rostov et une équipe de chefs du Café de Paris de Monte-Carlo Nous organiserons une exposition de photos du Suisse Nicola Savoretti consacrée à l’amour (au sens large du mot) et aux voyages gastronomiques. Les invités visiteront d’abord l’exposition photo, ce qui est un aspect nouveau de notre festival, avant de déguster un dîner où les chefs déclineront les produits aphrodisiaques en plusieurs versions.

Cette année, les Saisons se tiendront à Paris. Les préparatifs battent leur plein ?

Nous avons commencé à Paris en 2010 et nous y retournons cette année. La capitale française organisera au mois d’octobre une exposition de tableaux de la Collection Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Nous tiendrons notre festival parallèlement à cette exposition et nos chefs traiteront les sujets des impressionnistes comme Henri Matisse ou Edgar Degas.

Est-ce que le nombre de restaurants russes en France est en hausse ?

Je citerai le Café Pouchkine d’Andrey Dellos. Sinon ils ne sont pas nombreux. 

Nous avons perdu des traditions dans le tourbillon de l’histoire. Qu’est-ce qui nous manque, peut-être au niveau de l’Etat, pour que la cuisine devienne notre carte de visite ?

La gastronomie française est inscrite au patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO et la gastronomie française est soutenue au niveau ministériel. Il importe que le ministère de la Culture, celui de l’Agriculture et l’Agence du tourisme de Russie réalisent que la cuisine est une locomotive du développement économique, car le tourisme gastronomique contribue à la croissance de l’économie, surtout de l’agriculture, à un mode de vie sain et à la santé de la nation.

Quelles sont les régions les plus prometteuses ?

Toutes ! La Sibérie avec ses baies, son poisson et ses herbes, l’Extrême-Orient, le Caucase avec ses saveurs, ses fruits, ses arômes et ses fleurs. Notre nature est un véritable trésor. Notre pays possède une flore et une faune très riches que malheureusement nous ne  remarquons plus depuis 70–80 ans. Ce sont des strates énormes que nous devons soulever et développer pour y bâtir peut-être une micro-économie.

Quels sont vos projets ?

Nous continuerons de contribuer au développement de la coopération entre les chefs français et russes, mais nous prévoyons également d’élargir les limites de notre festival et d’inviter des cuisiniers d’autres pays. C’est ce que nous souhaitons faire, mais qui vivra verra.

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