Oxxxymiron, «l'Eminem russe»: le rap made in Russia à la conquête du monde

Oxxxymiron

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Miron Fiodorov, 32 ans, a fait ses études à Oxford et a commencé à composer ses morceaux de rap à Londres. À présent, il remplit des stades à travers le monde.

Miron Fiodorov, plus connu sous le nom d'Oxxxymiron, se laisse rarement interviewer. « Je n'aime pratiquement rien de ce que l'on écrit sur moi », a-t-il confié avec embarras à RBTH. Mais ce caractère secret ne l'a pour autant pas empêché de rencontrer le succès : internet et les rues sont criblés d'affiches faisant la promotion de ses concerts.

Ses astuces : un regard d'aigle, des narines gonflées en signe de provocation, des rimes crues et surtout, une grande intelligence. Lors de ses concerts, qui rassemblent toujours plusieurs milliers de personnes, ses jeunes fans déclament ses textes par cœur, tandis que les spectateurs plus âgés balancent volontiers la tête en suivant son flow.

De l'underground à l'écran

Oxxxymiron est né à Saint-Pétersbourg et est fier de ses origines ; il arbore d'ailleurs, tatouée sur son cou, la date de fondation de la ville, 1703. En 1993, alors que Miron est encore adolescent, sa famille déménage en Allemagne, où il écrit à 12–13 ans ses premiers morceaux de rap. Plus tard, sa famille part pour l'Angleterre. Le jeune MC intègre alors Oxford et y décroche un diplôme en « littérature anglaise du Moyen-Âge ».

Après cela, toujours à Londres, et plus précisément dans le quartier festif de Canning Town, naît son alter-ego-rappeur Oxxxymiron. Il s'adonne à la musique tout en aidant en parallèle les riches expatriés russes habitant la capitale britannique à résoudre leurs problèmes, y compris lorsqu'il s'agit d'en découdre avec la loi.

En 2015 est tournée une série s'inspirant de ses aventures, intitulée Londongrad. Elle ne tarde pas à faire sensation. C'est Miron lui-même qui se chargea d'ailleurs de composer la bande musicale, dans laquelle il est question de son passage « de l'underground à l'écran ».

« Je fais mes affaires, trouve des options, résous les problèmes / Eh bien non, je ne suis pas un romantique, mais si je vole quelque chose / Ce sera au moins le diamant de la reine ».

Un rap nouveau

Sa notoriété, Miron la tire en grande partie de sa participation aux battles Versus, des duels de rap à l'américaine organisés dans les clubs de Saint-Pétersbourg. Le concept est que deux interprètes (MC), tentent, tour à tour et dans un style le plus ampoulé possible, d'humilier leur adversaire.

Au terme des trois rounds, le jury accorde la victoire à l'un d'eux. Sur YouTube, les enregistrements des performances de Miron au cours de ces battles ont récolté des millions de vues. La vidéo la plus populaire est celle de son face-à-face avec Johnyboy en 2015 : elle a été visionnée 33 millions de fois.

Après deux albums à son actif, Oxxxymiron vit désormais dans deux pays, la Russie et l'Angleterre. Il parcourt cependant l'Europe pour se produire en concert (au programme de son Eurotour-2016 figuraient notamment l'Allemagne, la France, le Portugal et l'Angleterre).

Ses textes ne parlent ni de la dure vie dans la rue, ni de voitures de luxe, de diamants ou de femmes, c'est un rap nouveau, un rap intellectuel. Dans ses paroles, il met en avant les problèmes de la pauvreté spirituelle et du vide existentiel, de l'indifférence des gens au monde qui les entoure et à la culture, il évoque également la révolte contre le pouvoir, sujet déjà bien connu du rap russe, la critique de la corruption et de l'enrichissement démesuré.

Dans sa chanson Gorod pod podochvoï (La ville sous la semelle) il chante : « En donnant naissance à une nouvelle génération, nous avons atteint un changement de paradigme ». De jeunes Américains ont d'ailleurs visionné ce clip et n'ont pas hésité à qualifier l'artiste d'« Eminem russe ».

En 2016, dans une vidéo qui circula sur le net, on pouvait voir une écolière russe lisant en classe les paroles de la chanson d'Oxxxymiron Perepleteno (Entremêlé), les récitant à la place d'un poème d'Ossip Mandelstam, et recevant pour cette réponse la meilleure note.

Plus tard, il s'avéra qu'il s'agissait en réalité d'un exercice : comparer les poésies classique et contemporaine. Ainsi, le texte de Miron « Tout est entremêlé, une mer de fils, mais / tire dessus, c'est toute la pelote qui viendra / Ce monde est un fuseau (l'instrument), des coïncidences, il n'y en a aucune », a été interprété comme une allusion au poème de Mandelstam Le fuseau silencieux.

Suite à cela, les médias ont eux aussi commencé à attirer l'attention sur l'aspect artistique des textes de Miron. Sont même apparus en ligne des tests Devine de qui sont ces paroles, où les internautes devaient essayer de distinguer les textes du rappeur de ceux des poètes de l'Âge d'Argent russe (début du XXe siècle).

De la poésie au business

L'honnêteté, élément intrinsèque à la poétique du rap tout comme à l'allégorie de Mandelstam, est aussi, semble-t-il, un principe fondamental de la vie personnelle du musicien de 32 ans. Refusant de se plier aux canons du show-business, il entretient des relations tendues avec plusieurs rappeurs russes connus et exprime sans détour tout ce qu'il pense de la qualité de leurs textes et de leur musique.

Ceux-ci répondent d'ailleurs d'une manière tout aussi effrontée. Des conflits éclatent parfois sur les réseaux sociaux, mais il arrive que ces affrontements se matérialisent sous forme de chansons. Miron raconte d'ailleurs qu’un jour, un rappeur se disant patriote fut froissé par les paroles de l'une de ses compositions et exigea des excuses en le pointant avec un pistolet.

Au demeurant, rien n'empêche le rappeur d'avancer toujours plus loin. En février 2017, on apprenait ainsi que Miron prenait la tête de l'agence Booking Machine, organisatrice de concerts et manager d'artistes. De plus, il fut le premier musicien à devenir l'ambassadeur de Reebok Classic en Russie.

De nombreux projets reposent par ailleurs sur ses épaules : « Jamais je ne m'étais imaginé en bourreau de travail, mais l'appétit vient en mangeant. Une petite amie attitrée, à laquelle j'accorderais mon temps, je n'en ai point, presque tous mes proches travaillent avec moi, c'est pourquoi la frontière entre le travail et le repos est devenue floue. Je bats littéralement le fer tant qu'il est encore chaud, mais ceci dit, je m'efforce de ne pas transformer l'art en chaîne de production ».

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