Directeur du Ballet du Bolchoï: si on danse bien à Moscou, Paris l’appréciera

AP
Le Bolchoï a décidé en mars dernier de confier la direction du Ballet à Makhar Vaziyev, largement connu dans le monde de la danse grâce à son activité au Théâtre Mariinski et à La Scala de Milan. Quatre mois après sa nomination, Makhar Vaziyev fait part de ses impressions.

RBTH : A la tête de La Scala ces sept dernières années, avez-vous suivi l’évolution de la danse au Bolchoï ?

Makhar Vaziyev : Je travaillais à l’étranger, mais cela ne signifie pas que je ne savais pas ce qui se passe dans mon pays en général et dans sa vie artistique en particulier, plus précisément au Théâtre Mariinski et au Bolchoï. Mais il est évident que lorsque le directeur général du Bolchoï, Vladimir Ourine, a entamé des négociations avec moi, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à ce qui se passe.

RBTH : A quel point vos attentes ont-elles coïncidé avec la réalité ?

M.V. : Je n’ai eu aucune grande surprise sauf que je ne m’étais vraiment pas attendu à consulter une liste de 63 solistes dans la troupe. Ce grand nombre m’a étonné. Je suis sincèrement reconnaissant à Vladimir Ourine de m’avoir fait le détail de la situation pour ne pas avoir d’illusions. Toutefois, je ne connaissais pas la troupe, les gens.

RBTH : Les connaissez-vous aujourd’hui ?

M.V. : Oui, maintenant je les connais. Je suis au théâtre depuis quatre mois. J’aime bien la troupe. Il y a de nombreux pédagogues et artistes de talent, aussi bien parmi les « chevronnés » que parmi les jeunes. La troupe a un énorme répertoire et nous avons tant à faire !

RBTH : Ce n’est pas votre première invitation au Bolchoï, mais vous aviez refusé jusqu’ici. Qu’est-ce qui a changé, votre situation personnelle ou la proposition du théâtre ?

M.V. : Si jusqu’ici nous ne sommes jamais arrivés à trouver un dénominateur commun avec les représentants du théâtre, c’est uniquement à cause de moi. La première fois, j’ai été invité après avoir travaillé seulement un mois à La Scala. J’étais flatté, mais dans la vie je suis habitué à être responsable de ce que je fais, de ceux avec qui je travaille.

La troupe de danse au Bolchoï et au Théâtre Mariinski, c’est une machine : elle peut tourner plus vite ou moins vite, mais il est impossible de l’arrêter. La présence d’un directeur n’est qu’une chance d’aider les danseurs parce que tout a été réglé par nos prédécesseurs. La Scala, c’est autre chose, et j’ai l’impression que les acteurs dépendaient beaucoup plus de ma présence. Ce qui fait que je ne pouvais pas les abandonner.

RBTH : Quel est votre objectif en tant que directeur du Ballet ?

M.V. : Ma tâche première est d’aider la troupe, les acteurs et les pédagogues dans la formation d’un climat créateur. Les acteurs s’intéressent à ce qu’ils font quand ils voient des chances de grandir. Croyez-moi, même si vous payez très bien un danseur, mais qu’il n’a aucune chance de grandir professionnellement, il sera déçu.

Ainsi, l’essentiel est de leur permettre de faire carrière. De quelle manière ? Tout le monde doit travailler 24 heures sur 24, c’est tout. Mais travailler avec entrain et non à contrecœur. Pour ma part, je travaille entre 12 et 13 heures par jour. Personne ne m’y oblige, je le fais par plaisir. Ce n’est qu’à cette cadence-là qu’on peut avancer aujourd’hui.

RBTH : Quels souvenirs rapportez-vous de votre activité à Milan ?

M.V. : Ce fut une très bonne école. Formidable. Au début, je ne voulais pas vraiment y aller. Pourquoi ? Voyez-vous, quand je suis venu pour la première fois dans la troupe, les danseurs prenaient leur retraite à 52 ans et les danseuses à 47. Je ne savais pas ce que je devais faire, quels objectifs leur poser. Avec cela, le système d’opéra unilatéral n’était absolument pas adapté aux besoins de la danse.

Je suis profondément reconnaissant à Stéphane Lissner qui était à l’époque surintendant de La Scala. Quand il m’a invité, on a parlé pendant presque cinq heures. Il m’a déclaré dès le début qu’il souhaitait la formation d’une troupe de danse professionnelle à La Scala. Et a ajouté que je pouvais « tout changer s’il le faut ».

Je ne comprenais pas encore très bien le fonctionnement du système. Toutefois (si vous avez une certaine expérience) le problème n’est pas dans un système théâtral étranger, mais dans les gens que vous ne connaissez pas, dans leur façon de penser et dans les opinions. Au début, quand je demandais si je pouvais faire quelque chose, on me répondait : « Oui, mais il ne vaut mieux pas ». J’ai appris alors à rétorquer : « La Constitution dit que c’est possible… »

RBTH : Quelle est votre attitude envers une participation active du Ballet du Bolchoï à la diffusion de ses spectacles dans les salles de cinéma, sur Internet ou sur la place des Théâtres à Moscou ?

M.V. : Il y a plusieurs jours, le Bolchoï a organisé pour la première fois une diffusion en direct de ses spectacles sur la place des Théâtres à Moscou. Dans les entractes je venais dans mon bureau et je voyais les gens affluer, certains avec leur petite chaise personnelle. « Regardez comme on nous aime, comme on nous soutient », ai-je dit à la troupe. Le premier jour, il ne faisait pas beau, mais les spectateurs sont venus très nombreux. Pour ma part, j’encourage toute forme accessible qui permet de présenter notre art.

RBTH : Le Ballet du Bolchoï part ces prochains jours pour Londres, cette ville où une tournée devient souvent décisive pour la réputation d’une troupe dans le monde.

M.V. : Il est évident que la salle ne rassemble que deux mille spectateurs, tandis que le Financial Times est lu par des millions de personnes dans le monde entier et l’opinion se forme très souvent sur la base de l’évaluation donnée par ce quotidien et par plusieurs autres journaux britanniques.

Toutefois, je ferais remarquer que notre théâtre n’est pas un « nouveau-né », que notre troupe possède une riche histoire et que le Ballet du Bolchoï c’est une marque célèbre dans le monde entier. Par conséquent, il est plus important pour nous de bien danser à Moscou. Si nous le faisons chez nous, Londres, Paris ou Pékin l’apprécieront également. Si vous jetez un coup d’œil sur les noms des artistes qui partent en tournée, vous constaterez que ce sont les mêmes qui dansent ces spectacles à Moscou.

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