Nikolaï Polisski : « Les gens n’aiment pas qu’on se paie leur tête »

Laurent Boche / Service de presse
Le seul artiste russe à pratiquer le land art et créateur du festival ArchStoyanie Nikolaï Polisski travaille régulièrement en Europe et en Asie. L’artiste nous parle de ses projets internationaux.

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Nikolaï Polisski est membre du collectif artistique Mitki. Depuis 2000, il pratique le land art. Bonshommes de neige est le premier projet qu’il a créé dans le village Nikola-Levinets, dans la région de Kalouga (sud-ouest de Moscou).

Depuis 2006, le village accueille le festival ArchStoyanie – l’un des principaux événements du land art. Polisski crée des installations à partir de matériaux naturels. Ainsi est née la volée d’oiseaux en bois, paraphrase du célèbre tableau Les Freux sont de retour, et Beaubourg en osier, qui rappelle le Centre Pompidou parisien, ainsi que L’Esprit universel, qui mêle les motifs antiques et le cosmos.

Au fil des années, Nikola-Levinets est devenu l’un des plus grands parcs paysagers d’Europe qui attire les plus grands architectes, sculpteurs et peintres.

RBTH : Vos œuvres sont présentées au musée d’art moderne de Luxembourg MUDAM. Comment avez-vous eu l’idée d’y présenter le Grand collisionneur de hadrons ?

Nikolaï Polisski : Nous avons été invités par le directeur du MUDAM Enrico Lunghi : c’est le premier espace muséal dans lequel nous avons travaillé. J’ai eu le sentiment qu’il fallait faire quelque chose de grand et détaillé, de global. On parlait alors beaucoup du Grand collisionneur de hadrons et j’ai décidé qu’il fallait créer un laboratoire scientifique, tel que nous l’entendons.

Si avant, les artistes s’inspiraient de la nature, la culture matérielle moderne est si riche qu’ils réagissent à cette culture aussi. Quand nous avons amené l’installation, même démontée, cette pièce en bois ressemblait à un instrument scientifique complexe. Les chercheurs du CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire) sont venus la voir et l’ont beaucoup aimée.

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RBTH : Quel destin l’objet a ensuite  connu?

N.P. : Une partie de l’installation est restée au musée [Le Concasseur de quarks est présentée à l’exposition permanente du MUDAM, ndlr], une partie s’est fondue dans nos autres projets scientifiques. Des fragments du Collisionneur sont utilisés dans notre Esprit universel, une construction à Nikola-Levinets, une sorte d’ordinateur qui émet de l’énergie ou la récupère dans l’espace.

RBTH : L’espace dans lequel vous travaillez a-t-il une influence sur vos projets ? Vous avez été invité à réaliser votre installation Trophées de chasse au château de Chambord qui accueille, entre autres, le Musée de la chasse et de la nature. Les sculptures en bois devaient s’installer à côté de vrais trophées. Mais au final, l’œuvre a « déménagé » à l’hôtel parisien le Royal Monceau.

N.P. :  En réalité, seule une partie du projet est présentée à l’hôtel. Je voulais faire un immense troupeau de 300 à 500 têtes, représentant un effrayant soulèvement d’animaux. A certains égards, par son côté abstrait, le projet était proche de mon autre installation Bonshommes de neige. Je la voulais mobile pour qu’on puisse la présenter dans la rue et à l’intérieur.

A Chambord, le marquage était prêt, le catalogue était publié, mais avec le changement de directeur, le projet n’a jamais vu le jour. Mais une partie a déménagé dans l’hôtel dont le design est conçu par Philippe Starck. J’espère qu’un jour, nous réaliserons le Soulèvement en entier.

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RBTH : Vous êtes le premier artiste russe à participer à la résidence de la fondation taiwanaise Ton Ho. Grâce à vous, des fleurs étonnantes ont « éclos » dans le bassin d’une usine métallurgique. Comment est née cette idée ?

N.P. : Quand je suis arrivé à l’usine, je suis allé faire des repérages et j’ai découvert des constructions en acier destinées à la refonte. J’ai immédiatement compris que c’était la clé – le reflet de l’environnement dans lequel j’allais travailler.

Par ailleurs, le projet devait refléter les traditions de l’Orient. Le directeur de l’usine a relevé le niveau d’eau et, aujourd’hui, des poissons viennent dans l’étang pour nager entre ces fleurs. Les ouvriers locaux étaient ravis de voir leur propre travail sous un jour totalement inattendu.

RBTH : Ce n’est pas votre premier projet à Taiwan…

N.P. : Dans le Sud, à Kaohsiung, pour le Festival de la sculpture métallique,  j’ai fait un « quai » avec une immense chaîne d’ancre de 300 mètres que j’ai trouvée dans une décharge. J’ai ainsi  « arrimé » l’île. J’essaie de ne pas imaginer l’œuvre à l’avance, mais plutôt décider sur place.

Là, j’ai trouvé qu’il était important de montrer la connexion entre la ville et la mer. Il m’est très important d’être en contact avec l’environnement où je me trouve. L’artiste ne doit pas trimballer son idée à travers le monde, mais s’adapter à la nouvelle terre, sinon elle le rejette.

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RBTH : Allez-vous prochainement poursuivre votre travail en Asie ou en Europe ?

N.P. : J’ai une proposition pour réaliser un projet sur la place centrale de Cardiff [le projet est prévu pour l’été 2017, ndlr]. C’est une région minière, donc j’ai proposé de réaliser une œuvre en bois, traité de manière particulière, qui ressemblerait à du charbon. Une sorte de Stonehenge, un sanctuaire rituel du charbon.

RBTH : Le public étranger est-il différent du public russe ?

N.P. : Si l’on parle du travail en plein air, la différence est immense. Par exemple, si l’on travaille dans une ville française, le public doit d’abord vous découvrir, former son opinion. S’il vous accepte, il vous fera entièrement confiance et affichera un vif intérêt.

Chez nous, la réaction est différente, surtout en ville : certains pensent que l’artiste a tout faux. Mais à Nikola-Levinets, l’accueil est triomphal : le village attire des spectateurs avisés qui connaissent nos créations.

Au début, on me disait que les œuvres de Nikola-Levinets finiraient cassées, car le parc n’est pas gardé. Il n’en est rien : oui, on saute dessus, on les utilise comme installations sportives, mais on pourrait tout détruire. J’ai compris une chose essentielle : les gens n’aiment pas qu’on se paie leur tête. C’est pourquoi parfois, ils n’aiment pas l’art contemporain. 

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