Sur la scène, treize jeunes et pétillants acteurs racontent la vie de deux couples d’octogénaires touchants. Leurs biographies semblent évidentes, mais dans le domaine des sens, les choses se compliquent de plus en plus au cours du récit. Telle la boîte du magicien, la pièce révèle plusieurs comportements cachés.
Les relations entre les deux couples sont finalement tellement enchevêtrées que seul le schéma avec les flèches sur le tableau au fond de la scène peut permettre de comprendre qui a aimé qui et qui a désiré qui dans cette équipe de meilleurs amis depuis 50 ans. Illusions se compose de petites histoires, de monologues, dont chacun renverse et jette un doute sur le contenu précédent. L’amour serait-il illusoire ?
Ce n’est pas la vision de Galin Stoev, qui travaille depuis longtemps avec les textes d’Ivan Viripaev et considère ce dramaturge russe comme un des auteurs des plus adaptés à notre époque.
« Dans le spectacle, on voit des gens qui se comportent comme des machines qui produisent des illusions en temps réel. C’est le jeu de reflets qui annule tout ce qui était établi juste avant. Ça ne nous emmène nulle part, mais ça nous donne pendant une heure quarante à observer comment cette mécanique de production d’illusions marche. Et c’est assez paradoxal, assez ludique et drôle et parfois tragique. C’est un processus et pas une conclusion, explique le metteur en scène commentant son approche.
« Le spectacle ne veut pas dire que l’amour n’existe pas ou qu’il n’est qu’une illusion. On reste devant la potentialité de tout ce qui n’a pas encore été manifesté. Il s’adresse à nos propres limites de compréhension. On a toujours la possibilité d’élargir un peu le cadre ou de voir qu’en fait, la seule chose qui compte, c’est le cadre, mais la seule personne qui met le cadre – c’est toi et pas quelqu’un d’autre ».
Selon Galin Stoev, Viripaev est profondément théâtral dans son écriture. Il crée des textes qui sont destinés à être prononcés par des gens devant d’autres gens. Ils sont par définition un peu inachevés et arrivent à s’accomplir seulement pendant une représentation.
Le metteur en scène expérimente avec le texte des Illusions. Conçu pour être joué par quatre acteurs, dans l’interprétation de Galin Stoev, le texte se transforme en partition pour treize voix et corps différents qui incarnent toujours ces quatre personnages. Chacun y apporte son énergie, son style et son personnalité.
Galin Stoev est attiré dans l’œuvre de l’auteur russe par « ce mélange explosif entre presque la philosophie bouddhiste dans la manière de raconter l’histoire et la stratégie de soap opéra à l’américaine ». Tissés entre eux, le kitch et le spirituel dégagent un espace pour l’expérience, qui se fait sur la scène, mais aussi dans la salle.
Selon M. Stoev, l’écriture de Viripaev propose de nouvelles stratégies d’aborder le spectateur. Il pousse sans cesse le public à faire un choix et le confronte à des choix très contradictoires. Le spectateur n’est plus traité comme un consommateur, qui doit venir regarder, apprécier ou juger et partir après.
« Cette écriture te donne des choix de te positionner par rapport à ce que tu vois et ce que tu entends. Tu es aussi poussé à faire un travail à l’intérieure de toi, à effectuer une sorte de voyage. Jusqu’où tu vas aller – c’est ta responsabilité et ton problème. C’est une nouvelle modalité qui est proposé au spectateur, et c’est justement ça qui rend ce type de théâtre unique et profondément authentique. Je pense que cette authenticité manque énormément aujourd’hui dans toutes les formes de théâtre en France d’une manière, en Russie d’une autre », affirme M. Stoev.
Né en Bulgarie et résidant aujourd’hui entre Bruxelles, Paris et Sofia, Galin Stoev fut le premier à faire découvrir les œuvres du jeune dramaturge russe né à Irkoutsk (Sibérie) en dehors de la Russie. En 2002, il traduit en bulgare et met en scène Les Rêves qu’il montre au Festival International de Varna. En 2003, la version française d’une autre œuvre de Viripaev, Oxigène, fut créée par Stoev en Belgique.
« Pour moi, c’était la première expérience consistant à prendre un texte et à l’arracher au contexte dans lequel il a été créé. Dans « Oxigène », il y a beaucoup de références, liées au contexte de la Russie actuelle. L’histoire est racontée à travers le regard d’un jeune Russe. Je ne savais pas si ça pouvait vibrer ou faire sens dans le contexte français. Et ça a marché », raconte Galin Stoev.
Selon le metteur en scène, Ivan Viripaev joue autour des limites de la compréhension et de l’acceptation. Parfois il est provocateur. Cela pousse le spectateur de sortir de sa zone de confort. Cependant, la zone de confort en Russie n’est pas la même qu’en France. Il faut s’adapter au public, faire vibrer ce texte dans le contexte culturel local. « Finalement, les gens sont sensibles à ce qu’on leur envoie. Il y a un champ d’humanité ou on peut tous coexister malgré nos différences culturelles, religieuses ou autres. Et c’est ce champ d’humanité qu’Ivan vise », conclut M. Stoev.
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