Le créateur du Café Pouchkine entre le poète et le chanteur

Mark Boïarski
Le restaurateur franco-russe s’est inspiré d’une chanson de Gilbert Bécaud pour la référence littéraire de sa marque.

Le restaurateur Andrei Dellos s’est longtemps cherché avant de trouver le domaine où il s’est fait un nom. Né à Moscou dans une famille franco-russe, il fait d’abord les Beaux-Arts, puis des études d’ingénieur, suivies des cours d’interprétariat à l’Organisation des Nations unies avant de se vouloir artiste-peintre dans la ville lumière.

En 1991, une compagnie russe achète plusieurs de ses tableaux. Il s’engage à les livrer en personne. Hasard du destin, ses papiers lui sont volés et, venu à Moscou pour trois jours, le voici contraint d’y rester plus que prévu, en fait il n’en repartira pas. Aujourd’hui, son nom est associé à plusieurs restaurants haut de gamme, dont les célèbres Café Pouchkine à Moscou et à Paris, ainsi que le restaurant Betony à New York, doté d’une étoile au Michelin depuis 2014.

RBTH : Comment le nom « Café Pouchkine » vous est-il venu à l’esprit ?

Andrei Dellos : Le nom trottait dans ma tête depuis mes 18 ans. C’est grâce à la chanson Nathalie de Gilbert Bécaud, dans laquelle il invite son guide russe, une jeune femme dont il tombe amoureux à Moscou, à boire un « chocolat de chez Pouchkine ». Avec Delanoë, ils ont écrit cette chanson il y a un peu plus de cinquante ans, ce café n’existait que dans leur imagination. Tous les Français venant à Moscou cherchaient le café de la chanson.

J’ai compris qu’il y avait quelque chose à faire. Gilbert Bécaud lui-même est venu à l’inauguration du restaurant. Sa première phrase fut : « J’étais certain que je ne vivraispas jusqu’а ce moment ! ». Nous avons chanté cette chanson à trois en formant un trio exotique : Gilbert s’est assis au piano, et avec le maire [de Moscoude l’époque, ndlr] Iouri Loujkov, nous nous sommes levés pour chanter. La marque a alors pris son envol et les intermédiaires les plus divers s’en sont fait les ambassadeurs, la série américaine Suits, Zeffirelli, Zaz, contribuant ainsi à sa renommée internationale.

C’est le maire Loujkov qui vous a aidé à trouver un emplacement pour le « Café Pouchkine » .

En effet, Loujkov appréciait mes restaurants et s’est intéressé à mes projets à venir. Je lui ai bien entendu parlé de mon projet de toujours autour de Pouchkine et de la chanson de Bécaud, mais aussi de la difficulté à trouver un emplacement digne de ce nom dans le quartier qui semblait s’imposer de lui-même de la place Pouchkine. Aussitôt il m’a encouragé, évoquant la proximité du bicentenaire du poète [il a eu lieu en1999, ndlr] et, dès le lendemain, il me proposait un emplacement dans le quartier convoité à la seule condition que le café soit ouvert pour le bicentenaire. La passion aidant, nous avons réussi à boucler le chantier en moins de six mois, qui plus est, dans les règles de l’art. Un exploit pour mener à bonne fin la construction de ce bâtiment exceptionnel qui s’apparente à un hôtel particulier.

Café Pouchkine. Crédit : Mark Boïarski

 

On dit que le célèbre poète Alexandre Pouchkine a résidé dans cet hôtel particulier. Est-ce vrai, ou est-ce une légende autour du restaurant ?

Le « Café Pouchkine » est une création totale, En revanche, il est exact qu’il se rendait dans la la maison contiguë. Il s’y trouvait une école desbonnes manières, les jeunes femmes de bonne famille y apprenaient à faire la révérence. Pouchkine, qui était dans les bonnes grâces de tous, était autorisé à y entrer et c’est d’ailleurs là qu’il a vu Natalia Gontcharova [l’épouse de Pouchkine,ndlr] pour la première fois.

Vous êtes l’auteur de la décoration?

Tout a été réalisé d’après mes esquisses. L’intérieur a été réalisé de toutes parts par des artisans russes contemporains, mais il était important que le lieu respire l’atmosphère de l’époque et nous l’avons meublé d’objets des XVIIIe-XIXe siècles.

Si l’on en croit les critiques, votre autre restaurant, « Turandot », enchoque certains par l’exubérance de sa décoration.

J’avais envie d’expliquer aux Moscovites et au monde entier ce que sont les « chinoiseries », qui existent à Saint-Pétersbourg, mais pas à Moscou. J’aime la réaction des Américains, comme Johnny Depp par exemple. C’était très amusant de voir sa réaction quand on lui a parlé des chinoiseries, du baroque et des influences de l’art français, allemand et italien sur l’art russe. Le lieu abrite aussi en permanence une petite école d’art : le personnel doit être en mesure de répondre aux questions les plus diverses que l’aménagement intérieur peut susciter aux visiteurs. C’est d’ailleurs l’une des épreuves que doivent passer tous ceux qui souhaitent travailler ici.

Votre « Café Pouchkine » a aussi conquis Paris ?

La France, c’est un peu comme une gigantesque pâtisserie, alors en ouvrir une à Paris avait tout de la provocation, une façon originale de se suicider. La chose à ne pas faire ! Et pourtant, nous sommes installés depuis déjà quatre ans, et le succès est au rendez-vous, celui du medovik [gâteau au miel, ndlr] ne se dément pas auprès des Français eux-mêmes.

Turandot. Crédit : Mark Boïarski

 

On ne peut pas faire l’impasse sur l’embargo qui frappe les produits alimentaires. Dans quelle mesure avez-vous été touché ?

Je dois dire que nous n’avons pas tellement été touchés et nous nous sommes adaptés à la situation. Certes, il a fallu remplacer certains mets, les fromages par exemple. Dieu merci, on nous a laissé le vin. Nous travaillons avec des produits bio locaux. Il y a quelques années déjà, nous avons conclu des contrats directement avec des fermiers. Nous les avons formés à nos exigences et soutenus dans leur développement. Ceci explique sans doute que nous ayons été moins touchés que d’autres.

Que recommanderiez-vous à vos clients du Café Pouchkine pour leur faire goûter les mets de la noblesse russe ?

D’abord, il faut absolument essayer le bortsch [soupe aux betteraves, ndlr] ! Ensuite, bien sûr, la côtelette « pojarski ». En entremets, des pelmenis [raviolisrusses, ndlr]. C’est un must, c’est ce que nous servons à Paris, c’est tout simplement incontournable. En dessert, le medovik.

Et à combien s’élèvera l’addition ?

À Moscou vous n’en aurez pas pour plus de 50 euros. À Paris, je tiens à ce que nous maintenions un niveau de prix abordable. Je veux que les gens puissent goûter à tout. Par ailleurs, je suis très fier du fait que des professeurs, des intellectuels, des écrivainsfréquentent le premier étage du Café Pouchkine.

Quel est le public, à l’étranger, qui est le plus enthousiasmé par les subtilités de votre cuisine russe ?

Si l’on prend l’Europe, les Français, les Italiens et les Allemands sont les plus enthousiastes, mais nous allons désormais nous intéresser de plus près aux Anglais.

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