En attendant la séance.
Dominique SaintLe cinéma qui s’est développé en Russie après la chute de l’Union soviétique est loin de se la couler douce. Une crise financière permanente, le volontarisme des producteurs et le climat politique en changement sont des facteurs qui empêchent la lente industrie du cinéma de marcher au pas. Il faut y ajouter l’arrivée d’une nouvelle génération : les pros du cinéma russe se sont tus et voilà que le niveau professionnel dégringole.
L’année 2015 ne semble pas promettre une prochaine renaissance du secteur. L’objectif officiel de mettre le cap sur le patriotisme n’a fait apparaître pour l’instant que des films assez faibles basés sur l’histoire russe agrémentée de mythes nationaux. Il suffit de se rappeler du flop de la saison, Vassilissa, héroïne de la guerre patriotique de 1812. En outre, tout problème grave suscite le soupçon. Ainsi, l’un des rares succès au niveau mondial, Léviathan d’Andreï Zviaguintsev, a déclenché un tollé dans les réseaux sociaux russes. Le destin difficile de ce film est devenu un avertissement aux cinéastes : ne jamais aborder des problèmes sociaux sérieux.
Mais l’herbe pousse sur du béton : le cinéma voit arriver une nouvelle génération qui découvre le monde à sa manière. La Russie réalise une centaine de films de fiction par an dont beaucoup sont intéressants, mais ils ne sortent pas sur les écrans monopolisés par la production commerciale. Les spectateurs du Festival de Honfleur ont eu une chance en or de se familiariser avec le cinéma moderne de Russie : il semble que cet événement n’ait jamais eu de cas de conscience au niveau du choix des films.
Le programme du Festival de Honfleur reflète les tendances du cinéma russe tel qu’il a évolué en 2015 : il rajeunit et voit arriver de plus en plus de débutants, tandis que l’initiative dans la réalisation de films d’auteur revient souvent aux femmes.
Si la production nationale récente ne compte pas de chef d’œuvre, Honfleur affiche plusieurs films sincères et intelligents sur les grands problèmes de nos jours. Des dix réalisations en compétition, six sont l’œuvre de jeunes cinéastes qui se lancent dans l’exploration artistique, mais n’oublient pas de traduire les intérêts de la génération qui a grandi en Russie post-soviétique.
Le problème de la migration clandestine, qui inquiète aujourd’hui l’Europe et la Russie, chamboule l’âme, tel un cri de détresse, dans le film de la néophyte Daria Poltoratskaya, Adieu Moskwabad. Il étale au grand jour l’insupportable climat d’humiliation que subissent les Tadjiks à la recherche, dans un Moscou morose, d’un abri et d’un salaire. Le sujet des travailleurs migrants, ces gens d’autres religions ou d’autres traditions qui changent l’image culturelle du pays, est l’un des plus débattus en Russie, ce qui explique son intérêt pour les jeunes réalisateurs. Dans les films Foyer, doux foyer d’Alexandre Bassov, Elle de Larissa Sadilova et Norveg d’Aliona Zvantsova (ce dernier est en compétition), il est examiné du point de vue des « intrus » traités par les autochtones comme des sous-hommes.
Autre nom du nouveau cinéma russe, celui de Victor Dement, réalisateur de La Trouvaille, qui, tout comme Léviathan d’Andreï Zviaguintsev et Les Nuits blanches du facteur Alexeï Triapitsyne d’Andreï Kontchalovsky, traduit un sentiment d’isolement dans l’air raréfié d’un pays gigantesque. Le film nous reporte dans une région du Grand Nord dont le silence menaçant est très bien reproduit par le directeur de la photographie, Andreï Naïdionov. Le héros, un garde-pêche, est l’unique représentant du pouvoir dans une petite localité dont il dicte les règles qui en régissent la vie selon son idée de la loi et de la morale. Ce drame est celui d’un homme qui ne trouve plus sa place dans la société, mais qui, tentant de sauver un enfant abandonné dans la forêt, change d’attitude envers ses semblables.
Frère Deyan, de Bakour Bakouradzé, exigera du spectateur de savoir lire les nuances jusque dans le silence de l’image : c’est du cinéma d’auteur, un monde où l’on entre lentement et difficilement. Il n’est pas donné au spectateur de comprendre immédiatement qu’il a affaire à un drame concernant un tyran jadis tout puissant qui décidait du sort de populations et d’entités étatiques entières, mais qui aujourd’hui est un vieillard poltron redoutant la vengeance. Le film est basé sur l’histoire du général serbe Ratko Mladic accusé de génocide, qui a réussi à échapper à la justice pendant quinze ans.
Parmi les réalisateurs connus : Alexandre Kott, dont le drame Insight a été primé aux festivals de Berlin et de Tokyo. Le film illustre une tendance nouvelle pour le cinéma russe puisqu’il s’intéresse, une fois n’est pas coutume, au sort des handicapés.
La fantasmagorie Orléans d’Alexeï Prochkine, dans la catégorie Hommages, met en scène le Diable, véritable exécuteur dans une ville de province peuplée d’habitants malhonnêtes. De cette tragi-comédie, tournée d’après le scénario du maître de la dramaturgie russe Iouri Arabov, il est très facile de tirer un parallèle avec le roman de Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite.
Pour nombre de films actuels, des festivals comme celui de Honfleur figurent parmi les rares moyens de se frayer un chemin vers le spectateur exigeant. La Russie voit certes rajeunir son cinéma, mais aussi son public qui place trop souvent, hélas, les films au niveau d’une bouteille de Pepsi et d’un paquet de pop-corn.
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