Le musée de l’histoire du Goulag a vu le jour à Moscou en 2001, à l’initiative d’Anton Antonov-Ovseïenko, historien et écrivain, passé par les prisons et les camps en tant que fils d’un « Ennemi du peuple ». À l’époque, de nombreuses institutions sur le territoire de l’ex-URSS se consacraient à perpétuer la mémoire des répressions, mais aucun espace public ne présentait le phénomène de la terreur politique de manière systématisée et exhaustive. Le musée s’est d’abord installé dans le centre-ville, rue Petrovka, et s’est fixé cet objectif, malgré un manque flagrant de surfaces, de pièces dans sa collection et de financements. En 2004, quand l’exposition a ouvert au public, les organisateurs ont compris que la mission annoncée exigeait des conditions autrement plus importantes. L’idée d’un nouveau bâtiment pour le musée a été soutenue par la mairie de Moscou, et bien que le chemin se soit avéré sinueux, le résultat est convaincant.
Crédit : Iouri Palmine/Musée de l'histoire du Goulag
Le bâtiment résidentiel de quatre étages datant du début du XXe siècle, situé à proximité du centre-ville, rue 1er Samotetchni Pereoulok, a été entièrement rénové par le bureau d’architectes moscovite Kontora. Leur projet, notamment son design, est clairement inspiré par l’expérience et les tendances européennes. « Avec le déménagement dans ce nouveau bâtiment, nous cessons d’être un tout petit musée pour devenir un centre muséal de stature internationale. La surface des expositions a été multipliée par neuf, nous avons désormais assez de place pour conserver les pièces et pouvons mener des travaux de recherche. Nous accueillons déjà un centre social bénévole et un studio d’anthropologie visuelle, prochainement nous ouvrirons une librairie et une bibliothèque », raconte le directeur du musée Roman Romanov.
Crédit : Sergueï Mélikhov/Musée de l'histoire du Goulag
La première exposition, qui occupe toutes les salles, a ouvert le 30 octobre, le Jour de la mémoire des victimes des répressions politiques. Le projet de l’exposition, qui durera un an, a été réalisé avec la participation de 25 musées et archives russes, chacun étant consacré à différentes facettes de l’histoire des camps soviétiques. Rappelons que cet acronyme, tristement célèbre dans le monde entier, désignait le Glavnoïé oupravlénié ispravitelno-troudovikh laguéreï, ce qui signifie « Administration principale des camps correctionnels de travail ». Autrefois classée secrète, cette administration décidait du sort de millions de détenus ; il n’est dont pas étonnant que le Goulag soit ensuite devenu un nom commun et un symbole. L’exposition ne se limite pas à la présentation des camps, mais ce thème est, bien entendu, au cœur de la présentation.
Malgré sa thématique, le nouveau musée évite de plonger les spectateurs dans une ambiance sombre et oppressive. Même les portes de prison avec leurs verrous massifs, amenées ici de différents coins du pays et réunies dans une installation commune, servent plutôt de métaphore incarnée de l’horreur que d’instrument d’épouvante. De nombreux objets de la vie quotidienne dans les camps sont présentés dans des vitrines éclairées, comme s’il s’agissait de trésors anciens. Les entretiens vidéo avec les survivants des répressions paraissent assez ordinaires jusqu’à ce qu’on se concentre sur leur contenu. Les éléments interactifs susceptibles d’intéresser les enfants sont nombreux. Pourtant, cette présentation des documents historiques ne peut être qualifiée d’inappropriée ou de frivole, car elle est très réfléchie et s’inscrit dans un concept muséal solidement élaboré. Elle suit sa propre logique : plutôt que tester la résistance des émotions des spectateurs, elle les pousse peu à peu à apprendre, réfléchir et juger.
Crédit : Sergueï Mélikhov/Musée de l'histoire du Goulag
À la cérémonie d’inauguration du musée, Natalia Soljenitsyne, épouse et compagnon d’armes du prix Nobel de littérature Alexandre Soljenitsyne, l’auteur du célèbre livre L'Archipel du Goulag, a déclaré : « Cet événement dépasse largement le cadre de la ville, fusse-t-elle une capitale. C’est un événement de portée nationale. Bientôt, un monument à la mémoire des victimes des répressions sera érigé à Moscou. Pouvons-nous considérer que nous avons ainsi payé notre dette à l’égard du passé ? Ou devons-nous voir ces événements comme une levée d’étendard sur le vaisseau amiral, comme un exemple que le reste du pays tout entier devra suivre ? ».
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.