De gauche à droite : Vladimir Fridkes, Tatiana Arzamasova, Evgeny Svyatsky et Lev Evzovitch.
Vlad LoktevLes musées qualifient le projet de « principale exposition de l'année ». Pourquoi, à votre avis ?
Il s'agit d'un projet inter-muséal majeur impliquant un grand nombre d'artistes, vivants et disparus. Il compile une longue période d'histoire, près de huit siècles, ainsi qu'une strate sémantique qui émeut aujourd'hui, car l'humanité a le sentiment de se trouver dans un état de transition, à la veille de changements globaux et locaux. Ce sentiment est diffus et partout, c'est pourquoi il émeut.
Étant donné que deux principaux musées du monde ont préparé un projet en commun et ont longtemps travaillé sur ce projet, il mérite bien le titre de principal événement muséal européen.
À Bruxelles, 60 artistes sont inclus dans l'œuvre. Desquels vous sentez-vous les plus proches ?
De Warhol, entre autre. Nous le considérons comme une figure ayant influencé l'art de la fin du XXe siècle. Parmi les artistes vivants – Jake et Dinos Chapman, Andreas Gursky, David LaChapelle...
Parmi vos œuvres, laquelle participe au projet ?
Une partie de notre trilogie – l'installation vidéo Festin chez Trimalcion.
Elle combine plusieurs techniques : l'animation, la photographie et l'infographie. Dans sa version maximum, c'est une installation en neuf canaux – c'est ainsi qu'elle a été présentée à la biennale de Venise, puis à Sydney, à Moscou et ailleurs. D'ailleurs, le musée privé de la famille Vanhaerents se trouve à Bruxelles – l'œuvre appartient à ce musée et y a été exposée pendant près de deux ans.
Extraits de l'installation vidéo Festin chez Trimalcion. Source : Service de presse
Pour sa création, nous nous sommes inspirés d'un chapitre du Satyricon de Pétrone. Il parle des festins qui se tiennent dans la maison de Trimalcion, esclave affranchi devenu riche, où il cherche à épater ses amis et connaissances occasionnelles par sa richesse.
Il parle également de la complexité des relations humaines, notamment. Des rapports entre les esclaves et les maîtres, définis par les règles formelles, mais aussi par leurs relations. Parfois, ces relations inversent les rôles, celui du maître est joué par l'esclave et vice versa.
Dans notre œuvre, nous avons donné un sens légèrement différent au nom Trimalcion. Chez nous, ce nom est porté par un hôtel luxueux situé sur une île dans une mer chaude. Cet hôtel a tout, c'est une station balnéaire paradisiaque fréquentée par les puissants de ce monde. Ils sont accueillis par les habitants de ce paradis, les représentants du « tiers-monde », c'est-à-dire principalement des gens de couleur.
Tout semble aller bien, dans l'ennui rituel de ce genre de stations. Puis des relations humaines se nouent. Les relations se renversent à un certain point, et les clients finissent par servir leurs anciens serviteurs. Cette chaîne de relations est ponctuée des catastrophes perturbant ce « paradis sur terre ».
Racontez-nous la naissance de votre collectif.
Il est né par hasard. Lev et Tatiana sont architectes de formation, plus précisément des « architectes de papier ». Lev s'est essayé à l'animation et à la direction artistique. Tatiana créait des estampes et faisait de la décoration d'intérieur. Ils travaillaient toujours séparément, car ensemble, ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord.
À ce moment-là, Anatoli Vassiliev, célèbre metteur en scène, a proposé de créer un livre sur l'histoire du spectacle Le Cerceau qu'il donnait alors au Théâtre de la Taganka, à Moscou. Il avait de vastes archives du spectacle et voulait en faire un livre. Mais amis ont accepté la commande, mais ne savaient pas trop comment s’y prendre. Ils ont cherché un partenaire connaissant la polygraphie et l'illustration. Comme je suis illustrateur, ils m'ont trouvé par des amis en commun. Nous avons réalisé le projet et avons décidé de continuer à travailler ensemble. Ce livre reste à ce jour le principal souvenir du théâtre.
Extraits de l'installation vidéo Festin chez Trimalcion. Source : Service de presse
Volodia Fridkes nous a rejoint au milieu des années 1990, quand nous avons commencé à expérimenter avec la photographie.
Vous êtes ensemble depuis plus de 20 ans. Comment travaillez-vous à quatre ?
Tout se fait dans un dialogue – nous passons beaucoup de temps à discuter de nos idées. D'abord, c'est un éventail d'idées, puis cela se précise de plus en plus. D'habitude, nous discutons d'un nouveau projet pendant près d'un an jusqu'à ce qu'il deviennent intelligible pour nous. Ensuite, nous arrivons à l'étape où nous sommes prêts à mettre l'idée en œuvre. Nous lançons les préparatifs, imaginons les costumes, consacrons plusieurs mois au casting.
Puis, arrive le processus court, mais intense, de tournage – un énorme travail stressant où nous tournons pendant 10 à 14 jours du matin au soir. Nous analysons cet immense enregistrement et lançons la post-production – l'animation, le morphing, etc.
En sa qualité de photographe, Volodia Fridkes est la caméra principale. Lev Evzovitch devient le metteur en scène du tournage. Evgueni et Tatiana sont des assistants réalisateurs, car nous devons attribuer des rôles comme dans un tournage de cinéma. Ils veillent à ce qu'aucune idée ne soit oubliée.
Le projet muséal actuel est inspiré du livre éponyme du Français Jacques Attali. On dit de lui qu’il prédit l’avenir. Vous êtes également qualifiés de prophètes, surtout par rapport au « Projet islamique ». Avez-vous le sentiment de l'être ?
Parfois, oui (rires). Le projet est devenu célèbre dans les années 90, puis, après le 11 septembre 2001, il a connu un succès aux États-Unis et au Canada. Il reste demandé à ce jour.
Le thème de l'islam était déjà alors, comme aujourd'hui, extrêmement sensible. Nous sommes partis de la guerre en Tchétchénie dans les années 1994-95. Cette guerre peut être décrite comme un conflit autour de l'islam.
Extraits de l'installation vidéo Festin chez Trimalcion. Source : Service de presse
À un certain point, nous avons décidé de faire abstraction des conflits locaux concrets, pour viser plus haut et de tenter une vision plus large de l'histoire et de la pratique des relations entre les civilisations, les religions et les cultures. À mesure que nous approfondissions nos recherches sur l'histoire des relations, nous avons décidé de créer une série d'images des villes du monde en y implantant des éléments de l'architecture islamique au milieu de l'architecture occidentale.
Nous avons, par ailleurs, choisi des vues d'anthologie – avec Notre-Dame de Paris ou Manhattan, où nous avons détruit certaines choses et avons remplacé d'autres par des mosquées. Par exemple, nous avons installé le dôme de la mosquée de Boukhara sur le Musée Guggenheim. Un déplacement de certaines réalités d'un monde à l'autre. Nous voulions que le projet devienne une plate-forme de discussions pour le public, et c'est ce qui s'est passé. Une sorte de psychanalyse publique.
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