Nikolaï Polisski, l'art dans les friches

Une sculpture du projet "Trophées de chasse".

Une sculpture du projet "Trophées de chasse".

photo accordée par Nikolaï Polisski
Parmi les peintres russes modernes, lequel pourrait être qualifié de monumentaliste ? Uniquement Nikolaï Polisski, ce populiste du XXIe siècle qui a initié les paysans de la localité de Nikola-Lenivets (dans la région de Kalouga, à 220 km au sud-ouest de Moscou) à la création artistique et qui conjugue en lui les traditions populaires de l’artisanat avec les pratiques et stratégies de l’art moderne. La localité est le lieu d’organisation d’ArchStoyanie, un festival international d’art de plein air organisé cette année pour la dixième fois.

Nikolaï Polisski évoque l’histoire de la création de ses œuvres monumentales.

Bonshommes de neige

Photo accordée par Nikolaï Polisski

Tout a commencé en 2000 quand je me suis rendu compte des ressources que recelaient la neige et un terrain dont personne ne voulait : je vais où je veux, je fais ce que je veux… J’ai compris aussi que je devais imaginer quelque chose lié à cet endroit, à la localité de Nikola-Lenivets, et à ses ressources. Des étendues immenses et une riche ressource humaine : ils travaillaient dans la joie et avec entrain, ceux qui ont accepté une proposition à première vue bizarre, construire une armée de bonshommes de neige.

Tour de foin

Photo accordée par Nikolaï Polisski

En 2001, j’ai eu l’idée de réaliser une sculpture en foin. Pas de monter une énorme botte de foin, mais quelque chose de sacral et pathétique : c’est ainsi que je suis arrivé à la ziggurat (édifice mésopotamien en degrés, ndlr). La technologie même m’a soufflé que ce serait une ziggurat, une construction à degrés qui permet de monter en déposant de plus en plus de foin. Près de cent personnes ont participé à ce projet. Ceux qui ont apporté ne serait-ce qu’un brin d’herbe sont mes coauteurs.

Nikolaï Polisski. Archives personnelles

Je me souviens des intellos qui riaient de moi et de ma tour en disant que j’étais devenu cinglé et qu’au lieu de réaliser des tableaux qui se vendaient bien, j’étais allé faucher de l’herbe. Toutefois, c’est justement ce projet qui a confirmé que j’avais raison : nous avons été remarqués et les curateurs occidentaux m’ont invité à organiser une exposition à Quimper. Après la Tour de foin, mon rythme de vie est passé à la vitesse supérieure. 

Colonnedevignebrésilienne

Photo accordée par Nikolaï Polisski

En 2002, j’ai été invité dans la commune française de Die (Rhône-Alpes) pour le Festival Est-Ouest. A cette époque, j’avais de l’engouement pour la technique de l’osier tressé. J’ai donc fait savoir aux organisateurs français que nous étions prêts à tresser quelque chose. Or, le russe a le même mot pour « osier » et « pied de vigne » et c’est cette deuxième traduction qui a été donnée par mon interprète. En route pour Quimper, je passe par le Sud où l’on me montre cet « osier ». Je regarde les ceps déracinés entassés les uns sur les autres… et je me rends compte combien c’est beau, et je sens monter en moi le bonheur d’avoir trouvé un matériau unique en son genre. La colonne ressemblait à un tronc d’un arbre. Une journaliste française m’a dit que la colonne renvoyait aux illustrations de L’Enfer de Dante : les pieds de vigne rappelaient les hommes qui tentaient d’escalader une pyramide de corps humains pour échapper à l’empire des ténèbres. La colonne a été démontée un an plus tard pour céder la place à un manège d’enfants.

Porte de la Likhoborka

Photo accordée par Nikolaï Polisski

En 2005, l’architecte Galina Likhterova nous a invités à faire quelque chose à Moscou et nous a montré un endroit sinistre : la vallée de la Likhoborka transformée en dépotoir. Le maire de Moscou de l’époque, Youri Loujkov, avait décidé d’aménager à cet endroit un parc, de dépolluer la rivière, de renforcer ses rives et de transformer la décharge en lieu de promenade. Dans le sillage de cette idée, nous avons élevé une porte symbolisant l’entrée dans la nature, dans un monde perdu. Le problème était de trouver une forme logique pour ce paysage, de concurrencer les énormes blocs géométriques des immeubles en béton du quartier dortoir soviétique. J’ai alors imaginé que j’étais une corneille de ville se faisant un nid dont les formes sont inspirées par l’architecture citadine moderne. Le résultat a été une géométrie du chaos.

Grand collisionneur de hadrons

Photo accordée par Nikolaï Polisski

En 2009, le musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam) à Luxembourg nous a invités à réaliser quelque chose pour lui. Ayant visité l’énorme salle des expositions, nous avons compris qu’il fallait fabriquer quelque chose de géant renvoyant à un sujet socialement important. D’où l’idée de réaliser un collisionneur, cet accélérateur de particules qui était au centre de l’attention mondiale. Mais nous avons opté pour le bois. Nous l’avons assemblé ici, à Nikola-Lenivets, pour le charger ensuite à bord de deux camions et l’emmener au Luxembourg. Pendant l’exposition, notre collisionneur était « desservi » par dix gars du village vêtus de blouses blanches et portant des lunettes. Tout était très élégant et beau. Le Grand-Duc Jean est arrivé à l’inauguration dans une Porsche un peu défraîchie, laissant bouche bée les gars qui pensaient sans doute qu’un duc doit se déplacer en carrosse.

Trophéesdechasse

Photo accordée par Nikolaï Polisski

Il y a quelques années, j’ai été contacté par le créateur et décorateur Philippe Starck, qui m’a proposé de réaliser des animaux empaillés, mais en bois, pour l’hôtel Le Royal Monceau de Paris. La construction du bâtiment étant financée par un cheikh qatari, les décorateurs ont décidé de prendre mille précautions et d’enclencher l’autocensure en me demandant de ne pas amener de porcs, de sangliers, de chiens et d’autres animaux « impurs ». Aussitôt dit, aussitôt fait : nous avons remplacé les porcs par des boucs et des moutons. En fin de compte, un millionnaire russe aurait aussi été vexé si on lui proposait un bouc (le mot russe désignant non seulement l’animal mais étant aussi une insulte, ndlr).

Beaubourg

Photo accordée par Nikolaï Polisski

Réalisant mes créations à Nikola-Lenivets, j’essaie d’adopter le mode de pensée d’un urbaniste, je capte l’espace en le parsemant de points d’appui. Nous avons déjà un phare, maintenant c’est le tour d’un musée. Pourquoi le Centre Pompidou ? Quand je viens à Paris et que je vois ce bâtiment, absolument étranger à cette ville, j’ai l’impression que je l’aime beaucoup. J’aime particulièrement les canalisations de ventilation de Beaubourg, c’est pourquoi je les ai en quelque sorte reproduites en prenant toutefois pour base une forme architecturale tout autre.

Le texte est publié en résumé. L'original disponible sur le site du magazine Artguide

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