Crédit : Photoxpress
Votre réalisation est comparée tant à l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick qu’aux récents Gravity et Interstellar. Dequoivous-êtesvousinspiré ?
Je n’ai aucunement pensé à ces films en travaillant. Bien qu’Interstellar me plaise et que les associations avec l’Odyssée de l’espace soient compréhensibles. Mais ces films n’ont aucun rapport avec le mien même si l’on est tenté de faire la comparaison parce que, d’après le contexte extérieur – ici, c’est la présence d’un espace mystique –, ils se ressemblent. A vous de comparer.
Mais mon film est un film d’animation dont les moyens d’expression sont tout autres. L’espace dans mon film ne sert que de toile de fond à l’histoire. Cette dernière parle de deux amis cosmonautes qui ont une idée fixe, effectuer un vol dans l’espace, et qui font tout leur possible à l’entraînement pour devenir les meilleurs et obtenir une chance.
En ce qui concerne l’inspiration, ce n’est pas le mot que j’emploierais. Je ne me suis inspiré de rien. Cela s’est passé comme d’habitude : une idée s’enfonce dans la tête et me hante nuit et jour. C’est alors une question non d’inspiration, mais d’auto-thérapie : il faut guérir, « rejeter » cette maladie sous forme de produit, en l’occurrence d’un film.
Vous avez dit un jour que ce film d’un quart d’heure est né dans de grandes souffrances. Qu’est-cequia été leplusdifficile ?
La production a pris quatre ans, dont trois ont été consacrés aux animatics, cette transcription d’un story-board en diapositives se succédant en fondus enchaînés que l’on peut regarder. Les personnages ne bougent pas encore, mais la caméra se déplace et il y a une ébauche de son. C’est le plan du futur film, sa charpente. L’idée et le sujet étaient clairs, mais le film ne trouvait toujours pas sa finition constructive.
Pendant trois ans, j’ai fait du montage, j’ai déplacé des épisodes, découpé, ajouté et cherché la forme idéale de narration.
C’est votre deuxième Grand Prix à Annecy. Comment ont changé vos goûts et vos visions du film d’animation depuis Switchcraft [qui a été réalisé en 1994 et qui a rapporté le Grand Prix à Konstantin Bronzit, ndlr] ?
Je voudrais faire une remarque : c’est mon troisième Grand Prix à Annecy. Presque personne ne se souvient aujourd’hui de la récompense attribuée à mon film Die Hard d’une minute et demie, Grand Prix film de télévision en 1998.
Ma vision reste inchangée, celle qui s’est formée en 1994 et 1995. Je n’en étais qu’à mes débuts dans la profession, je buvais les paroles des grands réalisateurs, je lisais des livres et j’ai passé un an plongé dans la production de Switchcraft. J’ai compris alors que la première règle d’un réalisateur était de faire confiance à soi-même, à son intuition.
Si je suis persuadé que mon film doit être tel qu’il est – je ne parle pas d’une erreur de montage qui m’a été indiquée, mais que je m’obstine à ne pas corriger, j’ai en vue le nerf du film, son intonation – c’est qu’il doit rester ainsi.
A l’époque, j’ai failli dévier du chemin : j’ai eu peur que le spectateur se détourne de Switchcraft en raison d’un déroulement trop lent du sujet. Mon sort aurait pu être autre, mais finalement j’ai eu confiance en moi et j’ai réalisé les films suivants sur cette base. Ce qui n’annule pas un apprentissage infini dans la profession, car la création se fonde sur l’expérience du métier.
Quelles sont vos impressions du festival d’Annecy ?
C’est le meilleur, le plus joyeux des festivals. Premièrement, il est unique en son genre parce qu’il se déroule dans une petite ville pittoresque située au bord d’un « lac bleu » encadré par des montagnes. Au bord du lac, une salle géante qui est bondée et où il ne reste pas la moindre petite place libre. Les célébrités y viennent très nombreuses, par exemple, le jury a été présidé par Bonnie Arnold, coprésidente de DreamWorks Animation. C’est elle qui m’a remis le Grand Prix.
En outre, à la différence du programme des courts métrages à Cannes, le Festival d’Annecy ne met pas l’accent sur des sujets sociaux. Quand un festival se transforme en tribune pour les réalisateurs, c’est peu intéressant.
Pouvez-vous préciser les grandes tendances du film d’animation moderne ?
Je ne parlerai que de l’animation d’auteur, car pour le film commercial tout est clair : l’objectif est d’inventer une histoire pour toute la famille, de faire plaisir au spectateur et de faire de l’argent. Pour l’animation d’auteur, la tendance principale est de s’écarter de la narration. Les jeunes auteurs ne se préoccupent pas de la dramaturgie, estimant souvent qu’il est préférable d’étonner, d’effrayer et de montrer des corps déchiquetés.
L’animation russe est-elle différente de l’animation occidentale ?
Chez nous, il y a moins de corps déchiquetés. Les traditions des dessins animés soviétiques semblent être très fortes. Notre cerveau a sans doute une tournure qui fait que les jeunes réalisateurs ne sont pas attirés par le cinéma trash, le film sanguinaire.
La narration nous est plus proche, nous aimons raconter des histoires instructives pour semer les germes du bien, de l’humanisme. Nous avons grandi en écoutant des contes et en regardant des dessins animés avec de gentils personnages, c’est notre façon de penser.
Vous avez travaillé en Russie et à l’étranger. Où vous sentez-vous plus à l’aise ?
Je préfère de loin travailler aux studios Melnitsa de Saint-Pétersbourg. Quand toute l’équipe parle la même langue, on se comprend plus facilement et plus rapidement. Mais le problème essentiel n’est pas là. Je n’aime pas l’expression « à l’aise » dans le contexte de la réalisation d’un film.
Je ne suis jamais à l’aise en faisant un film. Si quelque chose ne me réussit pas, j’en souffre, que ce soit au Zimbabwe ou en Tchoukotka [extrémité nord-est de Russie, ndlr]. Et je serai partout content d’avoir réglé un problème. Sauf que je préfère quand même les régions où il fait beau (rit).
Souhaiteriez-vous réaliser un film autre que d’animation ?
Maintenant plus. Je crois qu’en tant qu’art, le cinéma n’existe plus. Toutes les histoires ont été racontées et l’industrie du cinéma s’est engagée dans la voie des technologies.
Est-ce que cela signifie qu’il y aura davantage de longs métrages d’animation ?
J’ai bien peur que ce que j’ai dit soit vrai également pour les dessins animés, mais je n’oserai jamais prédire leur avenir.
Konstantin Bronzit est né le 12 avril 1965 à Saint-Pétersbourg, où il a commencé sa carrière à l'atelier de production Lennautchfilm. Son premier dessin animé est le recueil d'animation Carrousel, devenu culte en URSS. Après avoir fini ses études au VGIK (l'université du cinéma) à Moscou, il continue sa formation au studio Pilot, où Alexandre Tatarsky le considère comme son meilleur étudiant. En 1998, il travaille au studio d'animation français Folimage et devient co-auteur du film « Au bout du monde ». Son long métrage intitulé « Histoire de toilettes, histoire d'amour » a été nominé aux Oscars en 2009. Il est nominé à de nombreux prix internationaux, y compris le César du meilleur film de court métrage.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.