Au Théâtre Praktika on joue "Enquête" un spectacle sur les sondages politiques. Source : Théâtre Praktika
Depuis déjà quelques années, les autorités de Moscou révisent et rénovent les établissements culturels : les bibliothèques, les musées, les centres culturels et, bien sûr, les théâtres. Les modernisations, en règle générale, se font au sommet : la direction change, et avec elle à la fois la troupe d’acteurs, et la ligne du répertoire.
L’exemple la plus significatif est celui de l’ancien Théâtre Gogol, qui, en 2011, a été confié au célèbre metteur en scène radicaliste de théâtre et de cinéma Kirill Serebrennikov. Avec lui, le théâtre a ouvert ses portes à de jeunes artistes, ses étudiants de l’académie du MKhAT (Théâtre d’Art de Moscou), et adopté un nouveau nom et un nouveau concept : le Centre Gogol.
Depuis trois ans, il est réellement devenu un centre culturel : on y organise des expositions, des leçons, des séances de cinéma, des débats publics, on y trouve une librairie et une médiathèque. Les jeunes acteurs y travaillent côte-à-côte avec les anciens ; bien sûr, ceux d’entre eux qui sont restés et ont su sortir du cadre des mises en scène classiques.
La réorganisation du Centre Gogol a créé un précédent : le théâtre est devenu à la mode. De nouveaux spectateurs, jeunes et curieux, y sont venus, pour lesquels les mises en scène expérimentales et la recherche de nouvelles formes ne sont pas une formule creuse.
Une recherche perpétuelle
Pour ce nouveau spectateur, les metteurs en scène imaginent de nouvelles formes, parmi lesquelles, par exemple, le spectacle-promenade, dans lequel le public se déplace dans la salle avec la troupe. C’est la forme qu’a adopté Normansk du jeune metteur en scène Youri Kviatkovski au Centre Meyerhold de Moscou.
La pièce est basée sur la contre-utopie Les Mutants du Brouillard des frères Strougatski, auteurs soviétiques de science-fiction. C’est un spectacle en forme d’avertissement sur les dangers d’une société totalitaire.
Normansk. Source : Centre Meyerhold de Moscou
Cette renaissance concerne également le théâtre documentaire, dont Teatr.Doc, « le théâtre dans lequel on ne joue pas » comme le définissent ses fondateurs, est devenu le bastion. On y joue Akyne-Opéra, d’après le nom des anciens bardes kazakhs et kirghizes, un récit écrit par de vrais travailleurs immigrés sur la dureté de leur vie en Russie, qui a reçu l’année dernière le prix spécial du festival théâtral Masque d’Or.
Mais ce qui est peut-être le meilleur exemple du nouveau théâtre est le travail du metteur en scène Dimitri Volkostrelov et son Théâtre post pétersbourgeois. Travaillant à la jonction du théâtre et de l’art contemporain, il met en scène des spectacles basés sur des textes modernes, du dramaturge biélorusse Pavel Priajko au britannique Mark Ravenhill.
Et parfois, sans texte tout court : la base de l’une de ses dernières représentations est la leçon de John Cage. Discours sur rien débute lorsque douze spectateurs – ni plus, ni moins – s’asseyent autour d’un cube blanc suspendu.
On leur lit ensuite d’un ton monotone la leçon de Cage, pendant que seule la lumière change. Lorsque le texte s’achève au bout de cinquante minutes, il s’avère qu’à l’intérieur du cube se trouvent des acteurs. Ils déchirent le rideau et s’en vont.
« Le théâtre est merveilleux, car il peut tout être. Il permet d’utiliser différents moyens de représentation. Le théâtre est toujours une expérience et une recherche, l’exploration de terres inconnues, comment pourrait-il en être autrement ? », affirme Volkostrelov.
Le théâtre actuel
La montée de l’intérêt pour le théâtre et son inscription dans le contexte contemporain a aussi été provoquée par l’état de la société. Le mouvement de protestation de la Place Bolotnaïa, Khodorkovski et les Pussy Riot, la loi sur les agents étrangers… Tous ces sujets sont des thèmes pour des spectacles.
Akyne-Opéra. Source : Teatr.Doc
Au Centre Gogol se produisent les spectacles Déchaînés sur les mouvements de jeunesse radicaux, et (M)artyr sur le fanatisme religieux, dans lequel un enseignant d’école secondaire, partant des leçons bibliques d’amour pour son prochain, en arrive au meurtre.
Au Théâtre Praktika on joue Enquête un spectacle sur les sondages politiques, et au Centre Meyerhold Alice et l’État, un cours magistral portant sur la nature de l’État et notre niveau de connaissance de nos propres droits et lois.
Tout autant que l’état de la société contemporaine, l’intérêt est stimulé par les nombreux festivals de théâtre et les collaborations avec des metteurs en scènes de capitales occidentales. Il semble que toutes les vedettes de la scène contemporaine se soient déjà rendues en Russie ; de Robert Wilson et Matthew Bourne à Jan Fabre et Romeo Castellucci.
D’ailleurs, c’est sur un spectacle de ce dernier que s’ouvrira fin janvier à Moscou le nouveau centre de la mise en scène mondiale, L’Électrothéâtre Stanislavski, qui prévoit des mises en scène collaboratives impliquant des metteurs en scène du monde entier.
Regard sur le futur
Selon les personnalités du monde du théâtre, le futur n’est pas si serein, et dépend de la situation politique et économique du pays.
« Il est absurde d’escompter que le théâtre se développera dans le pays dans une mauvaise situation politique. Ce sont des liens de causalité directs : si les libertés sont restreintes, le développement du théâtre, et l’intérêt qu’il suscite, le seront également », affirme la critique et directrice artistique du festival international NET Marina Davydova, qui envisage même, dans le pire des cas, une émigration possible des personnalités du monde du théâtre.
Le critique Pavel Roudnev, qui supervise au Masque d’or le programme Russian Case, créé pour la diffusion du théâtre russe à l’étranger, se plaint du manque de moyen pour le transport des troupes de théâtre : « Il y a un grand intérêt pour le théâtre russe à l’étranger, et il y a des choses à montrer ! Le problème est qu’il est très difficile d’organiser ses déplacements, et à cause de cela, il n’est pratiquement pas représenté sur la scène internationale. Et nous avons peu de mécanismes de diffusion de notre culture. Nous n’avons pas notre propre Institut français ».
Source : Centre Gogol
Du reste, malgré les difficultés et même l’adoption de la loi interdisant le langage obscène dans les représentations publiques, qui a fait débat au sein de la communauté artistique, l’optimisme des enthousiastes du théâtre est irrépressible.
Le directeur artistique de Teatr.Doc Mikhaïl Ougarov, et le reste de la troupe privée en décembre de son local, constate : « Le futur du théâtre et son développement dépend des gens qui le feront. Le théâtre continuera ! Nous chercherons simplement de nouvelles possibilités ».
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