Vincent Perez : « Il faut arrêter avec les clichés sur la Russie »

Vincent Perez : "Une fois que le cœur d'un Russe est ouvert, il est ouvert à vie". Crédit : Maria Tchobanov

Vincent Perez : "Une fois que le cœur d'un Russe est ouvert, il est ouvert à vie". Crédit : Maria Tchobanov

Le 22e Festival du Cinéma Russe à Honfleur aura lieu du 25 au 30 novembre 2014. Cette année le jury sera présidé par l'acteur, réalisateur, scénariste et photographe Vincent Perez.

Passionné par la culture russe, l'acteur français connaît le cinéma russe de l'intérieur, car sa filmographie compte trois rôles dans des films de réalisateurs russes. En 1996, il a tourné dans Ligne de vie de Pavel Lounguine, en 2007 dans Le Code de l'apocalypse de Vadim Chmelev et en 2014, il a joué dans une comédie de Dmitri Diatchenko La cuisine à Paris.

RBTH : Vincent, il y a presque 20 ans vous avez joué votre premier rôle dans un film russe. Depuis vous êtes retourné en Russie plusieurs fois pour différents projets, et cette année vous allez présider le jury du Festival du cinéma russe à Honfleur. Quelle est la nature de cette attirance pour ce pays ?

Vincent Perez : Certains Russes m'ont influencé aux moments cruciaux de ma vie, et notamment au moment de la prise de décision de devenir acteur. J'avais 15-16 ans lorsque j'ai lu La Formation de l'acteurde Stanislavski, que j'ai découvert parce que je m'intéressais aux acteurs de LActors Studioetà la  méthode de Strasberg qui a été inspirée par ce metteur en scène russe. C'était une vraie révélation et Stanislavski est devenu en quelque sorte mon mentor. Tout naturellement cela m'a conduit à lire du théâtre et les œuvres d'Anton Tchekhov. Un des premiers auteurs sur lequel j'ai travaillé quand j'étais au Conservatoire, et qui m'a toujours accompagné, c'est Tchekhov. J'ai joué Sergueï Voïnitsov dans sa pièce Platonov. J'avais aussi un projet de monter en scène une nouvelle de cet écrivain qui s'appelle Une envie de dormir.

En 1995, j'ai travaillé avec Pavel Lounguine, et quand je suis arrivé en Russie, c'était un moment extraordinaire. Moscou se réorganisait. On était au milieu de ce monde complètement fou, comme au Chicago des années 30. J'ai découvert que le film a été coproduit par la mafia tchétchène.Il y a eu des moments où je me suis retrouvé dans des situations difficiles, même dangereuses, mais cela n'a pas altéré ma passion pour la Russie. Tout ce que je vis dans ce pays dépasse toujours ce qu'on pourrait imaginer. Il y a quelque chose qui me touche profondément chez les Russes. Je ne veux pas me servir des clichés, mais une fois qu'on gratte un peu ou qu'on passe une certaine étape, il y a tout un monde qui s'ouvre. J'ai vraiment une passion pour la Russie, pour les Russes.

Dans votre « carrière russe » vous avez été deux fois choisi pour jouer un Français qui se retrouve dans le monde tantôt cruel, tantôt absurde, grotesque et débordant des Russes. Comment vous sentez-vous dans la peau de ce Français un peu looser, un peu trop romantique et naïf ?

V.P.: Je pense que c'est le regard qu'ont les Russes sur le Français, c'est un cliché. Mais il faut dire que la France n'est pas représentée d'une manière forte en Russie en ce moment. A vrai dire, à part le film de Pavel Lounguine, j'ai tourné dans des films russes qui ne sont pas extraordinaires, mais c'était une très belle expérience, une opportunité de replonger dans cette culture qui me plaît.

L'image donnée aux Russes par le cinéma français est-elle réaliste ?

V.P.: Je trouve que l'image des Russes ici en France est totalement fausse. Dans l'imaginaire du Français le Russe c'est quelqu'un de froid, dur, distant, qui ne s'ouvre pas, les femmes sont manipulatrices. On est dans les clichés totaux, c'est une aberration. Nous avons une image complètement biaisée de la Russie. Je m'efforce à ma manière, par des petits moyens de rétablir cette image, comme je peux, dans mon entourage. Je trouve chez les Russes une sincérité qui me touche beaucoup. Une fois que le cœur d'un Russe est ouvert, il est ouvert à vie, ce qui est magnifique.

Vous êtes en quelque sorte témoin de l'évolution qu'a subi le cinéma russe depuis la chute de l'Union soviétique. À votre avis, quelle est la place du cinéma russe actuel à l'échelle internationale ? Pourquoi est-il quasi inexistant sur les écrans français ?

V.P.: Les Russes n'ont pas encore complètement saisi le langage international du cinéma, de point de vue des scénarios. Ils rêvent de faire le cinéma d'action et ils vont bientôt y arriver, mais c'est vrai que pour le moment, le cinéma russe excelle dans les films comme Leviathan d'Andreï Zviaguintsev, qui est juste sublime. Et si on regarde les autres films de ce réalisateur, c'est un parcours sans faute : Le Retour, Le Bannissement, Elena que j'ai adoré. Pour moi c'est le plus grand cinéaste russe de la nouvelle génération. Les films de Pavel Tchoukhraï sont aussi excellents et c'est dommage qu'ils ne soient pas exportés. Personnellement, je voudrais voir les films d'Alexeï Guerman, mais ils ne sont pas sous-titrés.

La France n'est pas non plus très présente au niveau international, et si elle l'est, c'est parce que l'effort est structuré au niveau de l'État, il y a des gens qui exportent le cinéma français dans le monde et c'est financé par l’État. Il n'y a pas tout ça en Russie. Les efforts des enthousiastes qui aiment le cinéma russe ne suffisent pas. 

Que-est-ce que vous attendez de ce 22ème Festival du cinéma russe à Honfleur ? Comment ressentez-vous personnellement ce rôle de président du jury ? 

V.P.: J'attends tout d'abord de voir les films et les amis. Je suis en train de réunir un jury qui a une influence dans la société française. Je veux qu'on lance la bonne parole pour dire qu'il faut arrêter avec les clichés. Je soutiens le festival de Honfleur, parce que c'est une manière aussi de communiquer sur cette magnifique culture. Je suis un amoureux de la Russie et du cinéma russe et je le revendique.

Chaque fois que j'ai l'occasion de faire quelque chose avec la Russie, je la prends. Parfoisje fais des trucs qui ne sont pas terribles, mais parfois je fais de belles choses, comme d'avoir accepté cette participation au festival. Je deviens en quelque sorte un ambassadeur du cinéma russe, j'ai envie de l'exporter.

Pouvez-vous conseiller quelques œuvres cinématographiques actuelles à nos lecteurs ?

V.P.: Bien sûr, Leviathan d'Andreï Zviaguintsev, qui sort sur les écrans en France actuellement. Mais je voudrais souligner que l'histoire du cinéma russe est phénoménale. Tout le monde connaît Andreï Tarkovski, mais il y a aussi Elem Klimov, que personne ne connaît ici, alors qu'il a peut être réussi un des plus grands films de l'histoire du cinéma, dont le titre est traduit en français Requiem pour un massacre (1985). C'est mon film préféré. Je peux aussi conseiller de voir l'Île de Pavel Lounguine, La ballade du soldat de Grigori Tchoukhraï. Ceux qui n'ont pas eu le courage de lire La Guerre et la Paix (Guerre et Paix) de Leon Tolstoï doivent voir le film épique absolument hallucinant et qui n'a pas vieilli de Sergueï Bondartchouk. C'est la grandeur, l'extravagance du cinéma russe, et c'est ce que j'aime. Finalement, en Russie on se rend compte que la vie a d'autres dimensions que celles que la société nous impose.

 

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