Plaidoyer pour « démocratiser » 
la cuisine française en Russie

Éric Le Provos, chef cuisinier français.

Éric Le Provos, chef cuisinier français.

service de presse
Dans un contexte d’embargo sur les produits alimentaires européens, Russia Beyond the Headlines a rencontré le chef et restaurateur Éric Le Provos pour évoquer avec lui l’image élitiste de la cuisine française en Russie et sa recette pour la relancer.

C’est le 25 décembre 1991, à l’aube de la naissance d’une nouvelle Russie, qu’Éric Le Provos, chef cuisinier français doté d’une solide expérience internationale pour avoir travaillé en Écosse et aux États-Unis, est arrivé à Moscou. Tout s’est passé très vite. Une annonce dans un journal spécialisé dans l’hôtellerie. Une phrase de son père : « Éric, tu as fait le capitalisme, tu aimes voyager, va voir ce qui se passe chez les communistes ».

Voyage de l’autre côté du Mur

« À l’époque, on ne savait pas vraiment ce qui s’y passait, avoue le chef, il s’agissait encore de franchir le Mur. Au début, je n’ai pas trop compris le charme du pays. Il y avait des choses intéressantes, mais c’était encore relativement fermé et il y avait des problèmes politiques internes. Un an plus tard, je suis reparti en France et ce n’est que lors de mon deuxième séjour que j’ai commencé à découvrir le pays ».

Les années 1990 furent l’âge d’or de la cuisine française en Russie. Son prestige était particulièrement recherché : « le Mur s’ouvrait, les nouveaux riches – toute cette génération qui avait 35–45 ans – cherchaient à se montrer. La demande allait au foie gras et aux huîtres, c’était la grande richesse », se souvient Éric Le Provos.

Démocratiser la cuisine française

Mais vers 2003, tout a changé : la nouvelle génération, la progéniture des nouveaux riches des années 1990 est apparue sur le marché. À leur tour, ces gens se sont mis à voyager et ont introduit de nouvelles tendances, optant pour une cuisine moins compliquée : « Les Russes ont commencé à réclamer de la simplicité. On a assisté à une avancée rapide des Italiens et des Japonais ».

La cuisine française et ses grandes exigences, notamment celles de chefs onéreux, de personnel hautement qualifié et d’ingrédients chers, subit un coup très rude, raconte Éric. « Aujourd’hui, on trouvera à Moscou près de 600 restaurants italiens et autant de japonais, contre à peine trois ou quatre vrais restaurants français », souligne-t-il, ajoutant qu’il « n’y a pratiquement plus de cuisine française en Russie ».

Dorade au four par Éric Le Provos. Source : archive personnelle

Cependant, Éric dit connaître le remède. Pour sauver et développer ce qu’il en reste, il faut détruire le stéréotype répandu à travers le monde, et en particulier en Russie, selon lequel la cuisine française, « c’est une petite portion dans une grande assiette, le tout à un prix astronomique ».

D’autant plus que, selon le chef, la France a un atout incontestable : « c’est la seule cuisine au monde qui ait différents niveaux de restauration - le café, le bistrot, la brasserie et les gastronomiques. Or, la seule chose que nous voulons montrer dans le monde, ce sont les gastronomiques, qui sont les plus chers ».

Des prix abordables (de 20 à 30 euros) et une démocratisation, c’est la recette pour réhabiliter la cuisine française. Notre chef mise sur une clientèle issue de la classe moyenne et qui voyage. Laquelle accorde une grande importance au rapport qualité-prix. Éric se prépare à mettre sur papier ce projet dans un livre consacré à la cuisine accessible, cette autre facette de la gastronomie française.

Tout bien pesé, l’embargo est sans effet sur le goût

Interrogé sur l’éventuel impact de l’embargo alimentaire sur la gastronomie, Éric tient à dissiper une rumeur récemment apparue. « La cuisine française est avant tout une technique et un goût. Il suffit de maîtriser la technique et d’avoir un produit de bonne qualité », explique le chef, soulignant qu’il n’a pas besoin d’une « viande française pour faire un très bon bœuf bourguignon ».

Et de poursuivre : « dans la recherche de mon nouveau concept, je n’ai même pas besoin de produits étrangers, car je peux tout trouver ici. Quant aux fromages et au foie gras, je peux très bien m’en passer, d’autant plus que ces produits possèdent un très fort caractère, et ne sont appréciés en Russie que par une frange très étroite d’amateurs, dont le pourcentage ne dépassera pas le 1% ».

Un embargo salvateur pour la Russie ?

Salade de légumes croquants et confits par Éric Le Provos. Source : archive personnelle

« Ces sanctions, c’est malheureux pour l’Union européenne et pour ses vrais artisans. Pourtant, cette mesure peut être une très bonne chose pour la Russie, donner un très bon élan au pays », selon le chef. Accompagné d’un bon programme de soutien de la part du gouvernement, ce projet est susceptible de remettre l’agriculture russe en route et de stimuler l’activité dans les régoins, estime-t-il.

« Dans ce pays, il y un énorme écart entre la ville et la région, et si cette initiative se met en route, ce sera intéressant de voir tous ces villages commencer à créer du commerce. Au lieu d’acheter tout à Moscou, les propriétaires des résidences secondaires iront acheter leurs produits dans les villages voisins et feront marcher le commerce local. Les gens commenceront à se rencontrer, ça créera une ambiance et permettra de sauver des villages », espère aujourd’hui Éric Le Provos.

Le restaurant comme but de sortie

62% des citadins russes fréquentent régulièrement des restaurants ou d’autres types de lieux de restauration, selon l’institut de sondage VTsIOM. Pour près de la moitié des habitants des villes russes (47%), se rendre au restaurant ou au café constitue un loisir. Beaucoup de restaurants provinciaux se transforment en discothèques le soir. L’addition moyenne au restaurant est de 1 500 roubles (30 EUR) pour deux personnes. Le prix moyen d’un repas dans un restaurant français à Moscou est de 55 euros par personne.

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