Crédit : service de presse
Quand on demande à Françoise Lhoest, lauréate du 8e prix Russophonie pour sa traduction des Lettres de Solovki de Pavel Florensky, ce qui l’a amenée aux études de russe, comme de nombreux slavisants de sa génération elle répond : « le spoutnik ! » Pour Françoise Lhoest, il y a eu aussi une grand-mère russe prématurément disparue.
La Russie d'Aujourd'hui : Quand avez-vous commencé à traduire et pourquoi ?
Les choses se sont enchaînées naturellement à partir des années 1970. J'ai été amenée à traduire des petits textes, puis on m'a demandé de m'informer sur les sémioticiens russes, jusqu’à la préparation du recueil de Lotman et Ouspensky, Sémiotique historique de la culture russe, qui m'a demandé 13 ans de travail - beaucoup de textes d'Ouspensky n'étaient pas encore rédigés.
Vous vous intéressez à Florensky depuis longtemps, comment l'avez-vous découvert ?
Grâce à mon professeur, Nikita Struve, qui avait publié dans sa revue, Vestnik, des chapitres des Souvenirs d’Enfance. Plus tard on m’a reparlé de Florensky, j’ai commencé à rassembler les textes accessibles en Occident. Justement, la Perspective Inversée était publiée par les soins de Lotman et Ouspensky, presque sans coupures ! J’étais prête à boucler ma traduction de l’Iconostase, lorsque le petit-fils de Florensky m’a fait connaître le chercheur qui en préparait l’édition scientifique à partir du texte que Florensky avait dicté et corrigé. plus tard j’ai tellement aimé Le Sel de la Terre ou la vie du Starets Isidore que que j’ai décidé de traduire. Je l’ai fait, avec passion. Le texte est resté dans mes classeurs, je puis dans ceux de l’éditeur… ce qui m’a permis d’améliorer l’édition par des références nouvelles. Quant aux Lettres de Solovki parues en russe en 1998 il s’est écoulé trente années entre l’établissement du texte russe et sa publication en russe.
Que peut apporter œuvre de Florensky à notre société aujourd'hui ?
Paul Florensky, qu’on appelait le « Pascal russe », que l’on comparait à Léonard de Vinci ou Pic de la Mirandole, a payé de sa vie le fait d’être lui-même un génie, pire : un prêtre qui entendait le rester—au plus fort de la persécution contre les chrétiens de toute l’histoire de l’humanité—et qui l’est resté jusqu’à son dernier souffle.
C’est une personnalité exceptionnelle, essentiellement par sa recherche de la beauté. Même aux Solovki, il s’émerveille de la moindre petite mousse, des charmantes baies orange en forme de cœur de la morochka. Son témoignage est fabuleux ! Celui d’un grand insomniaque dont le cerveau bouillonne d’idées en permanence ! Au goulag, il monte de toutes pièces une usine avec des matériaux de rebut, travaille à 200% de la norme et obtient des brevets d’inventeur ! Par amour pour sa femme et ses enfants, il a l’héroïsme de ne rien dire ou presque sur ses conditions de vie. Quelle précieuse leçon de vie pour nos contemporains déprimés ou en quête de sens !
Que vous apporte ce prix ?
Il est l’occasion de rendre hommage. A la petite-fille de Florensky qui au tout début de cette grande aventure m’a emmenée sur la grande île de Solovki. Tatiana Vassilievna Florenskaya est morte bien avant la sortie de ce livre que l’éditeur, Dimitrijevic, n’a pas vu non plus, lui qui a publié à l’Âge d’homme tous ces ouvrages, des sémioticiens à Florensky. Aux Solovki j’ai rencontré des gens merveilleux qui ont choisi d’y vivre et d’y travailler, restaurateurs, historiens, historiens de l’Art qui s’attachent à reconstituer le puzzle de la vie et de la détention des prisonniers. Cela suppose d’entrer dans une vie passablement ascétique : les Solovki sont loin de tout, et c’est bien pour cela que saints Zossime, Sabbas, Germain et leurs successeurs ont choisi d’y vivre. C’est aussi aux Solovki que vécut Philippe Kolytchev qui créa tous ces canaux de lac en lac fit tous ces travaux d’ingénieur avant de devenir métropolite de Moscou, le seul qui eut le cran de dénoncer la folle impiété d’Ivan le Terrible entrant à cheval dans la cathédrale du Kremlin. Il le paya de sa vie !
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