Il y a plusieurs années, dans un entretien avec RossiyskayaGazeta, Marlen Khoutsiev, interrogé sur les qualités indispensables pour un réalisateur, répondit : « La confiance absolue dans ce que tu fais et le doute permanent sur le même sujet. Si l’une de ses qualités l’emporte, c’est mal. Un réalisateur sûr de lui décidera que tout ce qu’il fait est génial. L’indécision ne mène nulle part non plus. Ces deux qualités sont indispensables pour un réalisateur, les deux à la fois ».
Crédit : TASS
La confiance et le doute, la recette paradoxale utilisée par Khoutsiev, furent la source d’une authentique sincérité qui distingue beaucoup de ses films célèbres aussi bien en Russie qu’à l’étranger -Pluie de Juillet, Le Printemps dans la rue Zaretchnaïa et bien d’autres.
Marlen Khoutsiev est né le 4 octobre 1925 à Tiflis (actuellement Tbilissi, la capitale de la Géorgie). Son père, un communiste d’avant la révolution, fut arrêté en 1937 et condamné pour crimes contrerévolutionnaires – de longues années plus tard, cette histoire trouva son expression dans les films du réalisateur.
En 1944, après avoir raté le concours de l’Académie des Beaux-Arts de Tbilissi, Marlen Khoutsiev commence à travailler en tant que réalisateur assistant dans une école d’art dramatique auprès d’un studio de cinéma.
Le Printemps dans la rue Zaretchnaïa, 1956. Source : kinopoisk.ru
Le cinéma marque Khoutsiev au fer rouge, et devient la passion de toute sa vie. « J’avais un film préféré, Tchapaïev. C’est le premier film que j’ai vu dans mon enfance. Il est resté mon film préféré pour toujours », racontera plus tard Khoutsiev. En 1945, il entre à l'Institut national de la cinématographie S. A. Guerassimov (VGuIK). En 1950, il fait ses débuts en tant que réalisateur avec le court-métrage Gradostroiteli, son film de diplôme.
Le Printemps dans la rue Zaretchnaïa, réalisé en 1956 au studio d’Odessa conjointement avec un ancien camarade de classe, Felix Mironer, ouvre au réalisateur les portes de la célébrité. L’histoire lyrique toute en finesse sur la génération d’après-guerre, ses soucis et ses rêves, sur le premier vrai amour, a été très appréciée par la critique, mais également par les spectateurs – le film enregistra plus de 30 millions d’entrées.
Dans le film suivant, Les Deux Fedor, le célèbre écrivain, acteur et réalisateur soviétique Vassili Choukchine joue le rôle principal. Son personnage est un soldat qui revient du champ de bataille pour commencer une nouvelle vie.
Pluie de juillet, 1966. Source : kinopoisk.ru
La ballade cinématographique La Porte Ilitch, dédicace et manifeste des artistes des années 60, reflète l’atmosphère de la grande époque de l’espoir. Pourtant, les spectateurs ne purent voir la version originale du film qu’après la Perestroïka.
En 1962, le film a été « mis au placard » sur ordre du secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique Nikita Khrouchtchev (qui estima que le film « opposait les jeunes et les générations plus âgées » de manière odieuse).
« J’ai terminé La Porte Ilitch, le film a été merveilleusement reçu par la ministre de la Culture Fourtseva qui a cherché à la défendre quand il a été présenté à Khrouchtchev. Mais elle n’a pas réussi ! Ils ont frappé si fort que pendant deux ans, j’ai dû travailler sur les modifications. On était en 1962. J’ai alors compris que le dégel était terminé », raconte le réalisateur.
En 1965, le film sort enfin sur les écrans sous le nom J'ai vingt ans, mais dans une version censurée. Ce n’est que vingt ans plus tard que Khoutsiev put présenter la version originale du film.
J'ai vingt ans, 1964. Source : kinopoisk.ru
Néanmoins, même dans la version écourtée, le film fut remarqué par Federico Fellini en personne. Lors de sa visite pour la première de Huit et demi au festival de Moscou, le maître italien demanda à rencontrer l’auteur du film dont il trouvait l’esprit étonnamment proche du sien.
« Vous savez, quand on part pour un pays inconnu, on a toujours peur que nos motivations ne soient pas partagées, soutenues ni comprises. C’est pourquoi je me réjouis de cette coïncidence des motifs », racontait alors le réalisateur. Fellini ne fut pas le seul à saisir le talent du réalisateur : le film J’ai vingt ans reçut le prix spécial de la Mostra de Venise.
La filmographie de Khoutsiev n’est pas très longue, chaque œuvre étant d’autant plus précieuse. Pluie de juillet, C'était le mois de mai, Le Voile rouge de Paris, Postface et Infinitas, primé deux fois à la Berlinale – tous les opus du réalisateur sont emplis d’une foi sincère dans l’homme et dans son avenir heureux. « Premièrement, je suis fondamentalement contre le sordide, car la vie n’est jamais d’une seule couleur. Deuxièmement, j’estime que l’art doit apporter de l’espoir », affirme le réalisateur.
Les Deux Fedor, 1958. Source : kinopoisk.ru
Encore récemment, Khoutsiev enseignait au VGuIK et étudiait les problèmes du cinéma au sein de l’Union des cinéastes de Russie. Désormais, le réalisateur se consacre pleinement à son nouveau film, Nevechernyaya, qui parle des rencontres entre Léon Tolstoï et Anton Tchekhov. Imaginé il y a très longtemps, ce projet n’a trouvé des financements que récemment. Le réalisateur explique que son nouveau film dévoile le monde intérieur de ses grands écrivains russes, montre leur attitude envers la vie alentour, la société et la question de la mort et de l’immortalité.
Outre ses œuvres majeures, la rétrospective de Marlen Khoutsiev au festival de Locarno comprend un documentaire de Piotr Chepotinnik consacré à la création de Nevechernyaya. D’après Chepotinnik, ce « film – observation » permettra de comprendre ce que ressent Marlen Khoutsiev en réalisant ce nouveau film et les liens qui l’unissent à son œuvre antérieure.
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